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nouveaux essais sur l’entendement

recherchent les faits ; comme aussi les témoignages que les médailles et suscriptions, restées de l’antiquité, rendent aux livres venus des Anciens jusqu’à nous, et qui sont à la vérité copies de copies. Il faut attendre ce que nous apprendra encore l’histoire de la Chine, quand nous serons plus en état d’en juger et jusqu’où elle portera sa crédibilité avec soi. L’usage de l’histoire consiste principalement dans le plaisir qu’il y a de connaître les origines, dans la justice qu’on rend aux hommes qui ont bien mérité des autres hommes, dans l’établissement de la critique historique, et surtout de l’histoire sacrée, qui soutient les fondements de la révélation, et (mettant encore à part les généalogies et droits des princes et puissances) dans les enseignements utiles que les exemples nous fournissent. Je ne méprise point qu’on épluche les antiquités jusqu’aux moindres bagatelles ; car quelquefois la connaissance que les critiques en tirent peut servir aux choses plus importantes. Je consens, par exemple, qu’on écrive même toute l’histoire des vêtements et de l’art des tailleurs depuis les habits des pontifes des Hébreux, ou si l’on veut depuis les pelleteries, que Dieu donna aux premiers mariés au sortir du Paradis, jusqu’aux fontanges et falbalas (Faltblâts) de notre temps, et qu’on y joigne tout ce qu’on peut tirer des anciennes sculptures et des peintures encore faites depuis quelques siècles. J’y fournirai même, si quelqu’un le désire, les mémoires d’un homme d’Augsbourg du siècle passé, qui s’est peint avec tous les habits qu’il a portés depuis son enfance jusqu’à l’âge de 63 ans. Et je ne sais qui m’a dit que feu M.  le duc d’Aumont[1], grand connaisseur des belles antiquités, a eu une curiosité approchante. Cela pourra peut-être servir à discerner les monuments légitimes de ceux qui ne le sont pas, sans parler de quelques autres usages. Et puisqu’il est permis aux hommes de jouer, il leur sera encore plus permis de se divertir à ces sortes de travaux, si les devoirs essentiels n’en souffrent point. Mais je désirerais qu’il y eût des personnes qui s’appliquassent préférablement à tirer de l’histoire ce qu’il y a de plus utile, comme seraient des exemples extraordinaires de vertu, des remarques sur les commodités de la vie, des stratagèmes de politique et de guerre. Et je voudrais qu’on fît exprès une espèce d’histoire universelle, qui ne marquât que de telles choses et quelque peu d’autres de plus de conséquence ; car quelquefois on lira un grand livre d’histoire,

  1. Le duc d’Aumont, savant du xviie siècle, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, né en 1632, mort en 1704. P. J.