Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/534

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Si cela est (savoir que la notion individuelle de chaque personne enferme une fois pour toutes ce qui lui arrivera à jamais), « Dieu n’a pas été[1] libre de créer tout ce qui est depuis arrivé au genre humain, et ce qui lui arrivera à jamais a dû et doit arriver par une nécessité plus que fatale » (il y avait quelque faute dans la copie, mais je crois de la pouvoir restituer comme je viens de faire). « Car la notion individuelle d’Adam a enfermé qu’il aurait tant d’enfants (je l’accorde), et la notion individuelle de chacun de ces enfants tout ce qu’ils feraient et tous les enfants qu’ils auraient, et ainsi de suite » (je l’accorde encore, car ce n’est que ma thèse appliquée à quelques cas particuliers). « Il n’y a donc pas plus de liberté en Dieu à l’égard de tout cela, supposé qu’il ait voulu créer Adam, que de prétendre qu’il a été libre à Dieu, en supposant qu’il m’a voulu créer, de ne point créer de nature capable de penser. » Ces dernières paroles doivent contenir proprement la preuve de la conséquence ; mais il est très manifeste qu’elles confondent necessitatem ex hypothesi avec la nécessité absolue. On la toujours distingué entre ce que Dieu est libre de faire absolument et entre ce qu’il s’oblige de faire en vertu de certaines résolutions déjà prises, et il n’en prend guère qui n’aient déjà égard à tout. Il est peu digne de Dieu de le concevoir (sous prétexte de maintenir sa liberté) à la façon de quelques Sociniens et comme un homme qui prend des résolutions selon les occurrences et qui maintenant ne serait plus libre de créer ce qu’il trouve bon, si ses premières résolutions à l’égard d’Adam ou autres enferment déjà un rapport qui touche leur postérité, au lieu que tout le monde demeure d’accord que Dieu a réglé de toute éternité toute la suite de l’univers, sans que cela diminue sa liberté en aucune manière. Il est visible aussi que cette objection détache les volontés de Dieu les unes des autres, qui pourtant ont du rapport ensemble. Car il ne faut pas considérer la volonté de Dieu de créer un tel Adam détachée de toutes les autres volontés qu’il a à l’égard des enfants d’Adam et de tout le genre humain, comme si Dieu premièrement faisait le décret de créer Adam sans aucun rapport à sa postérité, et par la néanmoins selon moi s’ôtait la liberté de créer la postérité d’Adam comme bon lui semble ; ce qui est raisonner fort étrangement. Mais il faut plutôt considérer que Dieu choisissant non pas un Adam vague, mais un tel Adam dont une parfaite

  1. Grotefend : Dieu a estre.