Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/547

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fort trompé s’il y a personne qui ose dire qu’il a l’idée d’une substance possible, purement possible. Car pour moi je suis convaincu que, quoiqu’on parle tant de ces substances purement possibles, on n’en conçoit néanmoins jamais aucune que sous l’idée de quelqu’une de celles que Dieu a créées. Il me semble donc que l’on pourrait dire que, hors les choses que Dieu a créées ou qu’il doit créer-, il n’y a nulle possibilité passive, mais seulement une puissance active et infinie.

Quoi qu’il en soit, tout ce que je veux conclure de cette obscurité, et de la difficulté de savoir de quelle manière les choses sont dans la connaissance de Dieu, et de quelle nature est la liaison qu’elles y ont entre elles, et si c’est une liaison intrinsèque ou extrinsèque, pour parler ainsi ; tout ce que j’en veux, dis-je, conclure est que ce n’est point en Dieu, qui habite à notre égard une lumière inaccessible, que nous devons aller chercher les vraies notions ou spécifiques ou individuelles des choses que nous connaissons ; mais que c’est dans les idées que nous en trouvons en nous. Or je trouve en moi la notion d’une nature individuelle, puisque j’y trouve la notion de moi. Je n’ai donc qu’a la consulter, pour savoir ce qui est enfermé dans cette notion individuelle, comme je n’ai qu’à consulter la notion spécifique d’une sphère, pour savoir ce qui y est enfermé. Or je n’ai point d’autre règle pour cela, sinon de considérer ce qui est tel qu’une sphère ne serait plus sphère si elle ne l’avait, comme est d’avoir tous les points de sa circonférence également distants du contre, ou qui ne ferait pas qu’elle ne serait point sphère, comme de n’avoir qu’un pied de diamètre au lieu qu’une autre sphère en aurait dix, en aurait cent. Je juge par là que le premier est enfermé dans la notion spécifique d’une sphère, et que pour le dernier, qui est d’avoir un plus grand ou un plus petit diamètre, cela n’est point enfermé. J’applique la même règle à la notion individuelle de moi. Je suis assure que tant que je pense je suis moi. Car je ne puis penser que je ne sois, ni être, que je ne sois moi. Mais je puis penser que je ferai un tel voyage, ou que je ne le ferai pas, en demeurant très assuré que ni l’un ni l’autre n’empêchera que je ne sois moi. Je me tiens donc très assuré que ni l’un ni l’autre n’est enfermé dans la notion individuelle de moi. Mais Dieu a prévu, dira-t-on, que vous ferez ce voyage. Soit. Il est donc indubitable que vous le ferez ? Soit encore. Cela change-t-il rien dans la certitude que j’ai, que, soit que je le fasse, ou que je ne le