Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/548

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fasse pas, je serai toujours moi. Je dois donc conclure que ni l’un ni l’autre n’entre dans mon moi, c’est-à-dire dans ma notion individuelle. C’est à quoi il me semble qu’on en doit demeurer, sans avoir recours à la connaissance de Dieu pour savoir ce qu’enferme la notion individuelle de chaque chose.

Voilà, Monsieur, ce qui m’est venu dans l’esprit sur la proposition qui m’avait fait de la peine, et sur l’éclaircissement que vous y avez donné. Je ne sais si j’ai bien pris votre pensée, ç’a été au moins mon intention. Cette matière est si abstraite qu’on s’y peut aisément tromper ; mais je serais bien fâché que vous eussiez de moi une aussi méchante opinion que ceux qui me représentent comme un écrivain emporté qui ne réfuterait personne qu’en le calomniant, et prenant à dessein ses sentiments de travers. Ce n’est point là assurément mon caractère. Je puis quelquefois dire trop franchement mes pensées. Je puis aussi quelquefois ne pas bien prendre celles des autres (car certainement je ne me crois pas infaillible, et il faudrait l’être pour ne s’y tromper jamais), mais, quand ce ne serait que par amour-propre, ce ne serait jamais à dessein que je les prendrais mal, ne trouvant rien de si bas que d’user de chicaneries et d’artifices dans les différends que l’on peut avoir sur des matières de doctrine ; quoique ce fût avec des gens que nous n’aurions point d’ailleurs sujet d’aimer, et à plus forte raison quand c’est avec des amis. Je crois, Monsieur, que vous voulez bien que je vous mette de ce nombre. Je ne puis douter que vous ne me fassiez l’honneur de m’aimer, vous m’en avez donné trop de marques, Et, pour moi, je vous proteste que la faute même que je vous supplie encore une fois de me pardonner n’est que l’effet de l’affection que Dieu m’a donnée pour vous, et d’un zèle pour votre salut qui a pu ne pas être assez modéré.

Je suis, Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur.
A. Arnauld.

A. Arnauld au Landgrave.

13 mai 1686.

Je suis bien fâché, Monseigneur, d’avoir donné occasion à M.  Leibniz de s’emporter si fort contre moi. Si je l’avais prévu, je me serais bien gardé de dire si franchement ce que je pensais d’une de ses propositions métaphysiques ; mais je le devais prévoir, et j’ai