Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/559

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Enfin, je demeure d’accord que, pour juger de la notion d’une substance individuelle, il est bon de consulter celle que j’ai de moi-même, comme il faut consulter la notion spécifique de la sphère pour juger de ses propriétés. Quoiqu’il y ait bien de la différence car la notion de moi et de toute autre substance individuelle est infiniment plus étendue et plus difficile il comprendre qu’une notion spécifique comme est celle de la sphère, qui n’est qu’incomplète. Ce n’est pas assez que je me sente une substance qui pense, il faudrait concevoir distinctement ce qui me distingue de tous les autres esprits, mais je n’en ai qu’une expérience confuse. Cela fait que, quoiqu’il soit aisé de juger que le nombre des pieds du diamètre n’est pas enfermé dans la notion de la sphère en général, il n’est pas si aisé de juger si le voyage que j’ai dessein de faire est enfermé dans ma notion, autrement il nous serait aussi aisé d’être prophètes que d’être géomètres. Je suis incertain si je ferai le voyage, mais je ne suis pas incertain que, soit que je le fasse ou non, je serai toujours moi. C’est une prévention qu’il ne faut pas confondre avec une notion ou connaissance distincte. Ces choses ne nous paraissent indéterminées que parce que les avances ou marques qui s’en trouvent dans notre substance ne sont pas reconnaissables il nous. À peu près comme ceux qui ne consultent que les sens traiteront de ridicule celui qui leur dira que le moindre mouvement se communique aussi loin que s’étend la matière, parce que l’expérience seule ne le saurait montrer ; mais quand on considère la nature du mouvement et de la matière, on en est convaincu. Il en est de même ici : quand on consulte l’expérience confuse qu’on a de sa notion individuelle en particulier, on n’a garde de s’apercevoir de cette liaison des événements ; mais quand on considère les notions générales et distinctes qui y entrent, on la trouve. En effet, en consultant la notion que j’ai de toute proposition véritable, je trouve que tout prédicat nécessaire ou contingent, passé, présent ou futur, est compris dans la notion du sujet, et je n’en demande pas davantage.

Je crois même que cela nous ouvrira une voie de conciliation, car je m’imagine que M. Arnaud n’a eu de la répugnance à accorder cette proposition que parce qu’il a pris la liaison que je soutiens pour intrinsèque et nécessaire en même temps, et moi je la tiens intrinsèque, mais nullement nécessaire ; car je me suis assez expliqué maintenant qu’elle est fondée sur des décrets et actes libres. Je n’entends point d’autre connexion du sujet avec le prédicat que celle