Aller au contenu

Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’une agit sur l’autre, c’est que l’expression distincte de celle qui pâlit se diminue, et s’augmente dans celle qui agit, conformément à la suite des pensées que sa notion enveloppe. Car, quoique toute substance exprime tout, on a raison de ne lui attribuer dans l’usage que les expressions plus distinguées suivant son rapport.

Enfin, je crois qu’après cela les propositions contenues dans l’abrégé envoyé à M. Arnaud paraîtront, non seulement plus intelligibles, mais peut-être encore plus solides et plus importantes qu’on n’avait pu juger d’abord.

Leibniz à Arnauld

Hanovre, ce 14 juillet 1686.
Monsieur,

Comme je défère beaucoup à votre jugement, j’ai été réjoui de voir que vous avez modéré votre censure, après avoir vu[1] mon explication sur cette proposition que je crois importante et qui vous avait paru étrange : « Que la notion individuelle de chaque personne enferme une fois pour toutes ce qui lui arrivera à jamais. » Vous en aviez tiré d’abord cette conséquence, que de cette supposition, que Dieu ait résolu de créer Adam, tout le reste des événements humains arrivés à Adam et à sa postérité s’en serait suivi[2] par une nécessité fatale, sans que Dieu eût plus la liberté d’en disposer, non plus qu’il ne peut pas ne pas créer une créature capable de penser, après avoir pris la résolution de me créer.

À quoi j’avais répondu que, les desseins de Dieu touchant tout cet univers étant liés entre eux conformément à sa souveraine sagesse, il n’a pris aucune résolution à l’égard d’Adam, sans en prendre à l’égard de tout ce qui a quelque liaison avec lui. Ce n’est donc pas à cause de la résolution prise à l’égard d’Adam, mais à cause de la résolution prise en même temps à l’égard de tout le reste (à quoi celle qui est prise à l’égard d’Adam enveloppe un parfait rapport), que Dieu s’est déterminé sur tous les événements humains. En quoi il me semblait qu’il n’y avait point de nécessité fatale, ni rien de contraire à la liberté de Dieu, non plus que dans cette nécessité hypothétique généralement approuvée, qu’il y a à l’égard de Dieu même, d’exécuter[3] ce qu’il a résolu.

  1. Leibniz a mis en marge : entendu.
  2. Leibniz a corrigé ainsi : en seraient coulés.
  3. Qui le porte à exécuter.