Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/577

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trouve dans votre dernière lettre, qui me semblent considérables, mais que je ne comprends pas bien.

La première est ce que vous entendez par « l’hypothèse de la concomitance et de l’accord des substances entre elles », par laquelle vous prétendez qu’on doit expliquer ce qui se passe dans l’union de l’âme et du corps, et l’action ou passion d’un esprit à l’égard d’une autré créature. Car je ne conçois pas ce que vous dites pour expliquer cette pensée qui ne s’accorde, selon vous, ni avec ceux qui croient que l’âme agit physiquement sur le corps et le corps sur l’âme, ni avec ceux qui croient que Dieu seul est la cause physique de ces effets, et que l’âme et le corps n’en sont que les causes occasionnelles. « Dieu, dites-vous, a créé l’âme de telle sorte que pour l’ordinaire il n’a pas besoin de ces changements, et ce qui arrive à l’âme lui naît de son propre fond, sans qu’elle se doive accorder au corps dans la suite, non plus que le corps à l’âme : chacun suivant ses lois, et l’un agissant librement, et l’autre sans choix, se rencontrent l’un avec l’autre dans les mêmes phénomènes. »

Des exemples vous donneront moyen de mieux faire entendre votre pensée. On me fait une plaie dans le bras. Ce n’est à l’égard de mon corps qu’un mouvement corporel, mais mon âme a aussitôt un sentiment de douleur, qu’elle n’aurait pas sans ce qui est arrivé à mon bras. On demande quelle est la cause de cette douleur. Vous ne voulez pas que mon corps ait agi sur mon âme, ni que ce soit Dieu qui, à l’occasion de ce qui est arrivé à mon bras, ait formé immédiatement dans mon âme ce sentiment de douleur. Il faut donc que vous croyiez que ce soit l’âme qui l’a formé elle-même, et que c’est ce que vous entendez, quand vous dites que « ce qui arrive dans l’âme à l’occasion du corps lui nait de son propre fond ». Saint Augustin était de ce sentiment, parce qu’il croyait que la douleur corporelle n’était autre chose que la tristesse qu’avait l’âme de ce que son corps était mal disposé. Mais que peut-on répondre à ceux qui objectent : qu’il faudrait donc que l’âme sût que son corps est mal disposé avant que d’en être triste : au lieu qu’il semble que c’est la douleur qui l’avertit que son corps est mal disposé.

Considérons un autre exemple, où le corps a quelque mouvement à l’occasion de mon âme. Si je veux ôter mon chapeau, je lève mon bras en haut. Ce mouvement de mon bras de bas en haut n’est point selon les règles ordinaires des mouvements. Quelle, en est donc la cause ? C’est que les esprits étant entrés en de certains nerfs les ont