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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/578

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enflés. Mais ces esprits ne se sont pas d’eux-mêmes déterminés à entrer dans ces nerfs : ou ils ne se sont pas donné à eux-mêmes le mouvement qui les a fait entrer dans ces nerfs. Qui est-ce donc qui le leur a donné ? Est-ce Dieu à l’occasion de ce que j’ai voulu lever le bras ? C’est ce que veulent les partisans des causes occasionnelles, dont il semble que vous n’approuviez pas le sentiment. Il semble donc qu’il faille que ce soit notre âme. Et c’est néanmoins ce qu’il semble que vous ne vouliez pas encore. Car ce serait agir physiquement sur le corps. Et il me paraît que vous croyez qu’une substance n’agit point physiquement sur une autre.

La deuxième chose sur quoi je désirerais d’être éclairci est ce que vous dites : « Qu’afin que le corps ou la matière ne soit pas un simple phénomène comme l’arc-en-ciel, ni un être uni par accident ou par agrégation comme un tas de pierre, il ne saurait consister dans l’étendue, et il y faut nécessairement quelque chose qu’on appelle forme substantielle, et qui réponde en quelque façon à ce qu’on appelle l’âme. » Il y a bien des choses à demander sur cela.

1. Notre corps et notre âme sont deux substances réellement distinctes. Or, en mettant dans le corps une forme substantielle outre l’étendue, on ne peut pas s’imaginer que ce soient deux substances distinctes. On ne voit donc pas que cette forme substantielle n’eût aucun rapport à ce que nous appelons notre âme.

2. Cette forme substantielle du corps devrait être ou étendue et divisible, ou non étendue et indivisible. Si on dit le dernier[1], il semble qu’elle serait indestructible aussi bien que notre âme. Et si on dit le premier. Il semble qu’on ne gagne rien par là pour faire que les corps soient unum per se, plutôt que s’ils ne consistaient qu’en l’étendue. Car c’est la divisibilité de l’étendue en une infinité de parties qui fait qu’on a de la peine à en concevoir l’unité. Or, cette forme substantielle ne remédiera point à cela, si elle est aussi divisible que l’étendue même.

3. Est-ce la forme substantielle d’un carreau de marbre qui fait qu’il est un ? Si cela est, que devient cette forme substantielle, quand il cesse d’être un, parce qu’on l’a cassé en deux ? Est-elle anéantie, ou est-elle devenue deux ? Le premier est inconcevable, si cette forme substantielle n’est pas une manière d’être, mais une substance.

  1. Dernier, premier. — Grotefend et Gehrardt intervertissent l’ordre de ces deux termes, mais il nous semble que l’ordre que nous donnons est le seul qui soit conforme au sens.