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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/726

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vante, qui lui donne une certaine direction, l’exécutera sans empêchement et uniformément, supposé qu’il ne rencontre aucun autre atome. L’âme de même, posée dans cet état, où rien de dehors ne la change, ayant reçu d’abord un sentiment de plaisir, il semble, selon M. Bayle, qu’elle se doit toujours tenir à ce sentiment. Car, lorsque la cause totale demeure, l’effet doit toujours demeurer. Que si j’objecte que l’âme doit être considérée comme dans un état de changement, et qu’ainsi la cause totale ne demeure point, M. Bayle répond que ce changement doit être semblable au changement d’un atome, qui se ment continuellement sur la même ligne droite et d’une vitesse uniforme. Et quand il raccorderait, dit-il, la métamorphose des pensées, pour le moins faudrait-il que le passage que j’établis d’une pensée à l’autre renfermât quelque raison d’affinité. Je demeure d’accord des fondements de ces objections, et je les emploie moi-même, pour expliquer mon système. L’état de l’âme, comme de l’atome, est un état de changement, une tendance : l’atome tend à changer de lieu, l’âme à changer de pensée ; l’un et l’autre de soi change de la manière la plus simple et la plus uniforme, que son état permet. D’où vient-il donc, me dira-t-on, qu’il y a tant de simplicité dans le changement de l’atome, et tant de variété dans les changements de l’âme ? C’est que l’atome (tel qu’on le suppose, quoiqu’il n’y ait rien de tel dans la nature), bien qu’il ait des parties, n’a rien qui cause de la variété dans sa tendance, parce qu’on suppose que ces parties ne changent point leurs «rapports ; au lieu que l’âme, tout indivisible qu’elle est, renferme une tendance composée, c’est-à-dire une multitude de pensées présentes, dont chacune tend à un changement particulier, suivant ce qu’elle renferme, et qui se trouvent en elle tout à la fois, en vertu de son rapport essentiel à toutes les autres choses du monde. Aussi est-ce le défaut de ce rapport qui bannit les atomes d’Épicure de la nature. Car il n’y a point de chose individuelle qui ne doive exprimer toutes les autres ; de sorte que l’âme, l’égard de la variété de ses modifications, doit être comparée avec l’univers, qu’elle représente, selon son point de vue, et même en quelque façon avec Dieu, dont elle représente finiment l’infinité, à cause de sa perception confuse et imparfaite de l’infini, plutôt qu’avec un atome matériel. Et la raison du changement des pensées dans l’âme est la même que celle du changement des choses dans l’univers qu’elle représente. Car les raisons de mécanique, qui sont développées dans les corps, sont réunies, et pour ainsi dire con-