Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/725

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truchement de part et d’autre. Ce qui fait voir que ce qu’il y a de bon dans les hypothèses d’Épicure et de Platon, des plus grands matérialistes et des plus grands idéalistes, se réunit ici ; et qu’il n’y a plus rien de surprenant, que la seule suréminente perfection du souverain principe, montrée maintenant dans son ouvrage au delà de tout ce qu’on en a cru jusqu’à présent. Quelle merveille donc que tout aille bien et avec justesse, puisque toutes choses conspirent et se conduisent par la main, depuis qu’on suppose que tout est parfaitement bien conçu ? Ce serait plutôt la plus grande de toutes les merveilles, ou la plus étrange des absurdités, si ce vaisseau destine à bien aller, si cette machine à qui le chemin a été trace de tout temps, pouvait manquer, malgré les mesures que Dieu a prises. « Il ne faut donc pas comparer notre hypothèse, à l’égard de la masse corporelle, avec un vaisseau qui se mène soi-même au port, » mais avec ces bateaux de trajet, attachés à une corde, qui traversent la rivière. C’est comme dans les machines de théâtre et dans les feux d’artifice, dont on ne trouve plus la justesse étrange, quand on sait comment tout est conduit ; il est vrai qu’on transporte l’admiration de l’ouvrage à l’inventeur, tout comme lorsqu’on voit maintenant que les planètes n’ont point besoin d’être menées par des intelligences.

Jusqu’ici nous n’avons presque parlé que des objections qui regardent le corps ou la matière, et il n’y a point non plus d’autre difficulté qu’on ait apportée, que celle du merveilleux (mais beau et réglé, et universel) qui se doit trouver dans les corps, afin qu’ils s’accordent entre eux et avec les âmes ; ce qui, à mon avis, doit être pris plutôt pour une preuve que pour une objection, auprès des personnes qui jugent comme il faut de la puissance et de l’intelligence de l’art divin, pour parler avec M. Bayle, qui avoue aussi qu’il ne se peut rien imaginer qui donne une si haute idée de l’intelligence et de la puissance de l’auteur de toutes choses. Maintenant il faut venir à l’âme, où M. Bayle trouve encore des difficultés, après ce que j’avais dit pour résoudre les premières. Il commence par la comparaison de cette âme toute seule, et prise à part, sans recevoir rien au dehors, avec un atome d’Épicure, environné de vide ; et, en effet, je considère les âmes, ou plutôt les monades, comme des atomes de substance, puisqu’à mon avis il n’y a point d’atomes de matière dans la nature, la moindre parcelle de la matière ayant encore des parties. Or l’atome tel qu’Épicure l’a imaginé, ayant de la force mou-