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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/753

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écho demeure longtemps pour se faire entendre dans l’occasion ; et un tel vivant est appelé animal, comme sa monade est appelée une âme. Et quand cette âme est élevée jusqu’à la raison, elle est quelque chose de plus sublime, et on la compte parmi les esprits, comme il sera expliqué tantôt.

Il est vrai que les animaux sont quelquefois dans l’état de simples vivants, et leurs âmes dans l’état de simples monades, savoir, quand leurs perceptions ne sont pas assez distinguées pour qu’on s’en puisse souvenir, comme il arrive dans un profond sommeil sans songes, ou dans un évanouissement ; mais les perceptions devenues entièrement confuses se doivent redévelopper dans les animaux par les raisons que je dirai tantôt. Ainsi il est bon de faire distinction entre la perception, qui est l’état intérieur de la monade représentant les choses externes, et l’aperception qui est la conscience, ou la connaissance réflexive de cet état intérieur, laquelle n’est point donnée à toutes les âmes, ni toujours à la même âme. Et c’est faute de cette distinction que les cartésiens ont manqué, en comptant pour rien les perceptions dont on ne s’aperçoit pas, comme le peuple compte pour rien les corps insensibles. C’est aussi ce qui a fait croire aux mêmes cartésiens que les seuls esprits sont des monades, qu’il n’y a point d’âme des bêtes, et encore moins d’autres principes de vie. Et comme ils ont trop choqué l’opinion commune des hommes, en refusant le sentiment aux bêtes, ils se sont trop accommodés au contraire aux préjugés du vulgaire, en confondant un long étourdissement, qui vient d’une grande confusion des perceptions avec une mort à la rigueur où toute la perception cesserait ; ce qui a confirmé l’opinion mal fondée de la destruction de quelques âmes et le mauvais sentiment de quelques esprits forts prétendus, qui ont combattu l’immortalité de la nôtre.

5. Il y a une liaison dans les perceptions des animaux qui a quelque ressemblance avec la raison ; mais elle n’est fondée que dans la mémoire des faits, et nullement dans la connaissance des causes. C’est ainsi qu’un chien fuit le bâton dont il a été frappé, parce que la mémoire lui représente la douleur que ce bâton lui a causée. Et les hommes en tant qu’ils sont empiriques, c’est-à-dire dans les trois quarts de leurs actions, n’agissent que comme des bêtes ; par exemple, on s’attend qu’il fera jour demain, parce qu’on l’a toujours expérimenté ainsi. Il n’y a qu’un astronome qui le prévoie par raison ; et même cette prédiction manquera enfin, quand la cause du