Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/754

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jour, qui n’est point éternelle, cessera. Mais le raisonnement véritable dépend des vérités nécessaires ou éternelles ; comme sont celles de la logique, des nombres, de la géométrie, qui font la connexion indubitable des idées, et les conséquences immanquables. Les animaux où ces conséquences ne se remarquent point sont appelés bêtes ; mais ceux qui connaissent ces vérités nécessaires sont proprement ceux qu’on appelle animaux raisonnables, et leurs âmes sont appelées esprits. Ces âmes sont capables de faire des actes réflexifs, et de considérer ce qu’on appelle moi, substance, monade, âme, esprit ; en un mot, les choses et les vérités immatérielles. Et c’est ce qui nous rend susceptibles des sciences ou des connaissances démonstratives.

6. Les recherches des modernes nous ont appris, et la raison l’approuve, que les vivants dont les organes nous sont connus, c’est-à-dire les plantes et les animaux, ne viennent point d’une putréfaction ou d’un chaos comme les anciens ont cru, mais de semences préformées, et par conséquent de la transformation des vivants préexistants. Il y a de petits animaux dans les semences des grands, qui, par le moyen de la conception, prennent un revêtement nouveau qu’ils s’approprient, et qui leur donne moyen de se nourrir et de s’agrandir pour passer sur un plus grand théâtre et faire la propagation du grand animal. Il est vrai que les âmes des animaux spermatiques humains ne sont point raisonnables, et ne le deviennent que lorsque la conception détermine ces animaux à la nature humaine. Et comme les animaux généralement ne naissent point entièrement dans la conception ou génération, ils ne périssent pas non plus entièrement dans ce que nous appelons mort ; car il est raisonnable que ce qui ne commence pas naturellement ne finisse pas non plus dans l’ordre de la nature. Ainsi, quittant leur masque ou leur guenille, ils retournent seulement à un théâtre plus subtil, où ils peuvent pourtant être aussi sensibles et bien réglés que dans le plus grand. Et ce qu’on vient de dire des grands animaux a encore lieu dans la génération et la mort des animaux spermatiques plus petits, à proportion desquels ils peuvent passer pour grands, car tout va à l’infini dans la nature.

Ainsi non seulement les âmes, mais encore les animaux sont ingénérables et impérissables : ils ne sont que développés, enveloppés, revêtus, dépouillés, transformés ; les âmes ne quittent jamais tout leur corps et ne passent point d’un corps dans un autre corps qui leur soit entièrement nouveau.