Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/765

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présence, mais encore son opération ; c’est parce qu’il conserve les choses par une action qui produit continuellement ce qu’il y a de bonté et de perfection en elles. Mais les âmes n’ayant point d’influence immédiate sur les corps, ni les corps sur les âmes, leur correspondance mutuelle ne saurait être expliquée par la présence.

6. La véritable raison qui fait louer principalement une machine est plutôt prise de l’effet de la machine que de sa cause. On ne s’informe pas tant de la puissance du machiniste que de son artifice. Ainsi la raison qu’on allègue pour louer la machine de Dieu, de ce qu’il l’a faite tout entière, sans avoir emprunté de la matière du dehors, n’est point suffisante, c’est un petit détour, où l’on a été forcé de recourir. Et la raison qui rend Dieu préférable à un autre machiniste n’est pas seulement parce qu’il fait le tout, au lieu que l’artisan a besoin de chercher sa matière : cette préférence viendrait seulement de la puissance ; mais il y a une autre raison de l’excellence de Dieu, qui vient encore de la sagesse. C’est que sa machine dure aussi plus longtemps, et va plus juste que celle de quelque autre machiniste que ce soit. Celui qui achète la montre ne se soucie point si l’ouvrier l’a faite tout entière, ou s’il en a fait faire les pièces par d’autres ouvriers, et les a seulement ajustées ; pourvu qu’elle aille comme il faut. Et si l’ouvrier avait reçu de Dieu le don jusqu’à créer la matière des roues, on n’en serait point content, s’il n’avait reçu aussi le don de les bien ajuster. Et de même, celui qui voudra être content de l’ouvrage de Dieu ne le sera point par la seule raison qu’on nous allègue.

7. Ainsi il faut que l’artifice de Dieu ne soit point inférieur à celui d’un ouvrier ; il faut même qu’il aille infiniment au delà. La simple production de tout marquerait bien la puissance de Dieu ; mais elle ne marquerait point assez sa sagesse. Ceux qui soutiendront le contraire tomberont justement dans le défaut des matérialistes et de Spinoza, dont ils protestent de s’éloigner. Ils reconnaîtraient de la puissance, mais non pas assez de sagesse dans le principe des choses.

8. Je ne dis point que le monde corporel est une machine ou une montre qui va sans l’interposition de Dieu, et je professe assez que les créatures ont besoin de son influence continuelle ; mais je soutiens que c’est une montre qui va sans avoir besoin de sa correction, autrement il faudrait dire que Dieu se ravise. Dieu a tout prévu, il a