Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/771

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4. Pour moi, j’ai marqué plus d’une fois que je tenais l’espace comme quelque chose de purement relatif, comme le temps ; pour un ordre des coexistences, comme le temps est un ordre des successions. Car l’espace marque en termes de possibilité un ordre des choses qui existent en même temps, en tant qu’elles existent ensemble, sans entrer dans leur manière d’exister. Et lorsqu’on voit plusieurs choses ensemble, on s’aperçoit de cet ordre des choses entre elles.

5. Pour réfuter l’imagination de ceux qui prennent l’espace pour une substance, ou du moins pour quelque être absolu, j’ai plusieurs démonstrations, mais je ne veux me servir à présent que de celle dont on me fournit ici l’occasion. Je dis donc que, si l’espace était un être absolu, il arriverait quelque chose dont il serait impossible qu’il y eût une raison suffisante, ce qui est encore notre axiome. Voici comment je le prouve. L’espace est quelque chose d’uniforme absolument ; et sans les choses y placées, un point de l’espace ne diffère absolument en rien d’un autre point de l’espace. Or il suit de cela (supposé que l’espace soit quelque chose en lui-même outre l’ordre des corps entre eux) qu’il est impossible qu’il y ait une raison pourquoi Dieu, gardant les mêmes situations des corps entre eux, ait placé les corps dans l’espace ainsi et non pas autrement ; et pourquoi tout n’a pas été pris au rebours (par exemple), par un échange de l’Orient et de l’Occident : Mais si l’espace n’est autre chose que cet ordre ou rapport, et n’est rien du tout sans les corps, que la possibilité d’en mettre ; ces deux états, l’un tel qu’il est, l’autre supposé au rebours, ne différeraient point entre eux. Leur différence ne se trouve donc que dans notre supposition chimérique de la réalité de l’espace en lui-même. Mais, dans la vérité, l’un serait justement la même chose que l’autre, comme ils sont absolument indiscernables ; et par conséquent, il n’y a pas lieu de demander la raison de la préférence de l’un a l’autre.

6. Il en est de même du temps. Supposé que quelqu’un demande pourquoi Dieu n’a pas tout créé un an plus tôt, et que ce même personnage veuille inférer de là que Dieu a fait quelque chose dont il n’est pas possible qu’il y ait une raison pourquoi il l’a faite ainsi plutôt qu’autre nient, on lui répondrait que son illation serait vraie si le temps était quelque chose hors des choses temporelles ; car il serait impossible qu’il y eût des raisons pourquoi les choses eussent été appliquées plutôt il de tels instants qu’a d’autres, leur succession