et évidentes par elles-mêmes, dont on reconnaît la vérité dès qu’on les entend prononcer (comme que le vert n’est pas le rouge), sont reçues comme des conséquences de ces autres propositions plus générales, qu’on regarde comme autant de principes innés ; il semble que vous ne considérez point, Monsieur, que ces propositions particulières sont reçues comme des vérités indubitables de ceux qui n’ont aucune connaissance de ces maximes plus générales.
Th. J’ai déjà répondu à cela ci-dessus : On se fonde sur ces maximes générales, comme on se fonde sur les majeures qu’on supprime lorsqu’on raisonne par enthymèmes ; car, quoique bien souvent on ne pense pas distinctement à ce qu’on fait en raisonnant, non plus qu’à ce qu’on fait en marchant et en sautant, il est toujours vrai que la force de la conclusion consiste en partie dans ce qu’on supprime et ne saurait venir d’ailleurs, ce qu’on trouvera quand on voudra la justifier.
§ 20. Ph. Mais il semble que les idées générales et abstraites sont plus étrangères à notre esprit que les notions et les vérités particulières : donc ces vérités particulières seront plus naturelles à l’esprit que le principe de contradiction, dont vous voulez qu’elles ne soient que l’application.
Th. Il est vrai que nous commençons plutôt de nous apercevoir des vérités particulières, comme nous commençons par les idées plus composées et plus grossières : mais cela n’empêche point que l’ordre de la nature ne commence par le plus simple, et que la raison des vérités plus particulières ne dépende des plus générales, dont elles ne sont que les exemples. Et, quand on veut considérer ce qui est en nous virtuellement et avant toute aperception, on a raison de commencer par le plus simple. Car les principes généraux entrent dans nos pensées, dont ils font l’âme et la liaison. Ils y sont nécessaires comme les muscles et les tendons le sont pour marcher, quoiqu’on n’y pense point. L’esprit s’appuie sur ces principes à tous moments, mais il ne vient pas si aisément à les démêler et à se les représenter distinctement et séparément, parce que cela demande une grande attention à ce qu’il fait, et la plupart des gens, peu accoutumés à méditer, n’en ont guère. Les Chinois n’ont-ils pas comme nous des sons articulés ? et cependant s’étant attachés à une autre manière d’écrire, ils ne sont pas encore avisés de faire un alphabet de ces sons. C’est ainsi qu’on possède bien des choses sans le savoir.