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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/80

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nouveaux essais sur l’entendement

§ 21. Ph. Si l’esprit acquiesce si promptement à certaines vérités, cela ne peut-il point venir de la considération même de la nature des choses, qui ne lui permet pas d’en juger autrement, plutôt que de ce que ces propositions sont gravées naturellement dans l’esprit ?

Th. L’un et l’autre est vrai. La nature des choses, et la nature de l’esprit y concourent. Et, puisque vous opposez la considération de la chose à l’aperception de ce qui est gravé dans l’esprit, cette objection même lait voir, monsieur, que ceux dont vous prenez le parti n’entendent par les vérités innées que ce qu’on approuverait naturellement comme par instinct et même sans le connaître que confusément. Il y en a de cette nature et nous aurons sujet d’en parler ; mais ce qu’on appelle la lumière naturelle suppose une connaissance distincte, et bien souvent la considération de la nature des choses n’est autre chose que la connaissance de la nature de notre esprit et de ces idées innées, qu’on n’a point besoin de chercher au dehors. Ainsi j’appelle innées les vérités qui n’ont besoin que de cette considération pour être vérifiées. J’ai déjà répondu, § 5, à l’objection, § 22, qui voulait que lorsqu’on dit que les notions innées sont implicitement dans l’esprit, cela doit signifier seulement, qu’il a la faculté de les connaître ; car j’ai fait remarquer qu’outre cela, il a la faculté de les trouver en soi et la disposition à les approuver quand il y pense comme il faut.

§ 23. Ph. Il semble donc que vous voulez, monsieur, que ceux à qui on propose ces maximes générales pour la première fois, n’apprennent rien qui leur soit entièrement nouveau. Mais il est clair qu’ils apprennent premièrement les noms, et puis les vérités et même les idées dont ces vérités dépendent.

Th. Il ne s’agit point ici des noms, qui sont arbitraires en quelque façon, au lieu que les idées et les vérités sont naturelles. Mais, quant à ces idées et vérités, vous nous attribuez, monsieur, une doctrine dont nous sommes fort éloignés, car je demeure d’accord que nous apprenons les idées et les vérités innées, soit en prenant garde à leur source, soit en les vérifiant par l’expérience, Ainsi je ne fais point la supposition que vous dites, comme si dans le cas dont vous parlez nous n’apprenions rien de nouveau. Et je ne saurais admettre cette proposition : tout ce qu’on apprend n’est pas inné. Les vérités des nombres sont en nous, et on ne laisse pas de les apprendre, soit en les tirant de leur source, soit en les vérifiant par l’expérience lorsqu’on les apprend par raison démons-