aux agents et aux patients. Ils ont besoin d’une raison suffisante de leur action, aussi bien que de leur passion. Non seulement la balance n’agit pas, quand elle est poussée également de part et d’autre ; mais les poids égaux aussi n’agissent point, quand ils sont en équilibre ; de sorte que l’on ne peut descendre, sans que l’autre monte autant.
15. Il faut encore considérer qu’à proprement parler les motifs n’agissent point sur l’esprit comme les poids sur la balance ; mais c’est plutôt l’esprit qui agit en vertu des motifs, qui sont ses dispositions à agir. Ainsi vouloir, comme l’on veut ici, que l’esprit préfère quelquefois les motifs faibles aux plus forts, et même l’indifférent aux motifs, c’est séparer l’esprit des motifs comme s’ils étaient hors de lui, comme le poids est distingue de la balance ; et comme si dans l’esprit il y avait d’autres dispositions pour agir que les motifs, en vertu desquels l’esprit rejetterait les motifs. Au lieu que dans la vérité les motifs comprennent toutes les dispositions que l’esprit peut avoir pour agir volontairement ; car ils ne comprennent pas seulement les raisons, mais encore les inclinations qui viennent des passions ou d’autres impressions précédentes. Ainsi, si l’esprit préférait l’inclination faible à la forte, il agirait contre soi-même, et autrement qu’il est disposé d’agir. Ce qui fait voir que les notions contraires ici aux miennes sont superficielles, et se trouvent n’avoir rien de solide, quand elles sont bien considérées.
16. De dire aussi que l’esprit peut avoir de bonnes raisons pour agir quand il n’a aucuns motifs, et quand les choses sont absolument indifférentes, comme on s’explique ici, c’est une contradiction manifeste ; car s’il a de bonnes raisons pour le parti qu’il prend, les choses ne lui sont point indifférentes.
17. Et de dire qu’on agira quand on a des raisons pour agir, quand même les voies d’agir seraient absolument indifférentes, c’est encore parler fort superficiellement, et d’une manière très insoutenable. Car on n’a jamais une raison suffisante pour agir, quand on n’a pas aussi une raison suffisante pour agir tellement ; toute action étant individuelle, et non générale, ni abstraite de ses circonstances, et ayant besoin de quelque voie pour être effectuée. Donc, quand il y a une raison suffisante pour agir tellement, il y en a aussi pour agir par une telle voie ; et par conséquent les voies ne sont point indifférentes. Toutes les fois qu’on a des raisons suffisantes pour une action singulière, on en a pour ses réquisits. Voyez encore ce qui se dira plus bas, Num. 66.