Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/797

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18. Ces raisonnements sautent aux yeux, et il est bien étrange qu’on m’impute que j’'avance mon principe du besoin d’une raison suffisante, sans aucune preuve tirée de la nature des choses, ou des perfections divines. Car la nature des choses porte que tout événement ait préalablement ses conditions, réquisits, dispositions convenables, dont existence en fait la raison suffisante.

19. Et la perfection de Dieu demande que toutes ses actions soient conformes à sa sagesse, et qu’on ne puisse point lui reprocher d’avoir agi sans raisons, ou même d’avoir préféré une aison plus faible à une raison plus forte.

20. Mais je parlerai plus amplement sur la fin de cet écrit, de la solidité et de l’importance de ce grand principe du besoin d’une raison suffisante pour tout événement, dont le renversement renverserait la meilleure partie de toute la philosophie. Ainsi il est bien étrange qu’on veuille ici qu’en cela je commets une pétition de principe ; et il paraît bien qu’on veut soutenir des sentiments insoutenables, puisqu’on est réduit à me refuser ce grand principe, un des plus essentiels de la raison.

Sur les §§ 3 et 4.

21. Il faut avouer que ce grand principe, quoiqu’il ait été reconnu, n’a pas été assez employé. Et c’est en bonne partie la raison pourquoi jusqu’ici la philosophie première a été si peu féconde, et si peu démonstrative. J’en infère, entre autres conséquences, qu’il n’y a point dans la nature deux êtres réels absolus indiscernables ; parce que, s’il y en avait, Dieu et la nature agiraient sans raison, en traitant l’un autrement que l’autre ; et qu’ainsi Dieu ne produit point deux portions de matières parfaitement égales et semblables. On répond à cette conclusion, sans en réfuter la raison ; et on y répond par une objection bien faible : « Cet argument, dit-on, s’il était bon, prouverait qu’il serait impossible à Dieu de créer aucune matière ; car les parties de la matière parfaitement solides, étant prises égales et de la même figure (ce qui est une supposition possible), seraient exactement faites l’une comme l’autre. » Mais c’est une pétition de principe très manifeste, de supposer cette parfaite convenance, qui selon moi ne saurait être admise. Cette supposition de deux indiscernables, comme de deux portions de matière qui conviennent parfaitement entre elles, paraît possible en termes abstraits ; mais