Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/809

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Sur le § 15.

55. Pour ce qui est de la question, si Dieu a pu créer le monde plus tôt, il faut se bien entendre. Comme j’ai démontré que le temps sans les choses n’est autre chose qu’une simple possibilité idéale, il est manifeste que, si quelqu’un disait que ce même monde qui a été créé effectivement ait sans aucun autre changement pu être créé plus tôt, il ne dira rien d’intelligible. Car il n’y a aucune marque ou différence, par laquelle il serait possible de connaître qu’il eût été créé plus tôt. Ainsi, comme je l’ai déjà dit, supposer que Dieu ait créé le même monde plus tôt, c’est supposer quelque chose de chimérique. C’est faire du temps une chose absolue, indépendante de Dieu, au lieu que le temps doit coexister aux créatures, et ne se conçoit que par l’ordre et la quantité de leurs changements.

56. Mais, absolument parlant, on peut concevoir qu’un univers ait commencé plus tôt qu’il n’a commencé effectivement. Supposons que notre univers, ou quelque autre, soit représenté par la figure AF, que l’ordonnée AB représente son premier état ; et que les ordonnées CDEF, représentent des états suivants. Je dis qu’on peut concevoir qu’il ait commencé plus tôt en concevant la figure prolongée en arrière, et en y ajoutant RS, AR, BS. Car ainsi, les choses étant augmentées, le temps sera augmenté aussi. Mais E F si une telle augmentation est raisonnable et conforme à la sagesse de Dieu, c’est une autre question ; et il faut dire non, autrement Dieu l’aurait faite. Ce serait comme

Humano capiti cervicem pictor equinam
Jungere si velit.

Il en est de même de la destruction. Comme on pourrait concevoir quelque chose d’ajouté au commencement, on pourrait concevoir de même quelque chose de retranché vers la fin. Mais ce retranchement encore serait déraisonnable.

57. C’est ainsi qu’il parait comment on doit entendre que Dieu a créé les choses en quel temps il lui a plu ; car cela dépend des choses qu’il a résolu de créer. Mais les choses étant résolues avec leurs rapports, il n’y a plus de choix sur le temps ni sur la place, qui