Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/104

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point. Ce n’est pas proprement la pesanteur qui est la cause de ce retardement, puisque les bateaux descendent au lieu de monter, mais c’est la même cause qui augmente aussi la pesanteur dans les corps qui ont plus de densité, c’est-à-dire qui sont moins spongieux, et plus chargés de matière qui leur est propre : car celle qui passe à travers des pores, ne recevant pas le même mouvement, ne doit pas entrer en ligne de compte. C’est, donc que la matière est portée originairement à la tardivilé, ou à la privation de la vitesse ; non pas pour la diminuer par soi-même, quand elle a déjà reçu cette vitesse, car ce serait agir ; mais pour modérer par sa réceptivité l’effet de l’impression, quand elle le doit recevoir. Et par conséquent, puisqu’il y a plus de matière mue par la même force du courant lorsque le bateau est plus chargé, il faut qu’il aille plus lentement. Les expériences aussi du choc des corps, jointes à la raison, font voir qu’il faut employer deux fois plus de force pour donner une même vitesse à un corps de la même matière, mais deux fois plus grand ; ce qui ne serait point nécessaire si la matière était absolument indifférente au repos et au mouvement, et si elle n’avait plus cette inertie naturelle, dont nous venons de parler, qui lui donne une espèce de répugnance à être mue. Comparons maintenant la force que le courant exerce sur les bateaux, et qu’il leur communique, avec l’action de Dieu qui produit et conserve ce qu’il y a de positif dans les créatures et leur donne de la perfection, de l’être et de la force : comparons, dis-je, l’inertie de la matière avec l’imperfection naturelle des créatures ; et la lenteur du bateau chargé, avec le défaut qui se trouve dans les qualités et dans l’action de la créature : et nous trouverons qu’il n’y a rien de si juste que cette comparaison. Le courant est la cause du mouvement du bateau, mais non pas de son retardement ; Dieu est la cause de la perfection dans la nature et dans les actions de la créature, mais la limitation de la réceptivité de la créature est la cause des défauts qu’il y a dans son action. Ainsi les platoniciens, saint Augustin et les scolastiques ont eu raison de dire que Dieu est la cause du matériel du mal, qui consiste dans le positif, et non pas du formel qui consiste dans la privation ; comme l’on peut dire que le courant est la cause du matériel du retardement, sans l’être de son formel, c’est-à-dire, il est la cause de la vitesse du bateau, sans être la cause des bornes de cette vitesse. Et Dieu est aussi peu la cause du péché, que le courant de la rivière est la cause du retardement du bateau. La force aussi est à l’égard de la matière,