Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/15

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qu’il est étrange que le péché d’autrui doive damner quelqu’un, la question demeure toujours, pourquoi Dieu ne les retire pas tous, pourquoi il en retire la moindre partie, et pourquoi les uns préférablement aux autres. Il est leur maître, il est vrai, mais il est un maître bon et juste ; son pouvoir est absolu, mais sa sagesse ne permet pas qu’il l’exerce d’une manière arbitraire et despotique, qui serait tyrannique en effet. De plus, la chute du premier homme n’étant arrivée qu’avec permission de Dieu, et Dieu n’ayant résolu de la permettre qu’après en avoir envisagé les suites, qui sont la corruption de la masse du genre humain et le choix d’un petit nombre d’élus, avec l’abandon de tous les autres ; il est inutile de dissimuler la difficulté, en se bornant à la masse déjà corrompue : puisqu’il faut remonter, malgré qu’on en ait, à la connaissance des suites du premier péché, antérieure au décret par lequel Dieu l’a permis, et par lequel il a permis en même temps que les réprouvés seraient enveloppés dans la masse de perdition, et n’en seraient point retirés ; car Dieu et le sage ne résolvent rien, sans en considérer les conséquences.

On espère de lever toutes ces difficultés. On fera voir que la nécessité absolue, qu’on appelle aussi logique et métaphysique, et quelquefois géométrique, et qui serait seule à craindre, ne se trouve point dans les actions libres ; et qu’ainsi la liberté est exempte, non seulement de la contrainte, mais encore de la vraie nécessité. On fera voir que Dieu même, quoiqu’il choisisse toujours le meilleur, n’agit point par une nécessité absolue ; et que les lois de la nature que Dieu lui a prescrites, fondées sur la convenance, tiennent le milieu entre les vérités géométriques, absolument nécessaires, et les décrets arbitraires : ce que M. Bayle et d’autres nouveaux philosophes n’ont pas assez compris. On fera voir aussi qu’il y a une indifférence dans la liberté, parce qu’il n’y a point de nécessité absolue pour l’un ou pour l’autre parti ; mais qu’il n’y a pourtant jamais une indifférence de parfait équilibre. L’on montrera aussi qu’il y a dans les actions libres une parfaite spontanéité, au-delà de tout ce qu’on en a conçu jusqu’ici. Enfin l’on fera juger que la nécessité hypothétique et la nécessité morale qui restent dans les actions libres n’ont point d’inconvénient, et que la raison paresseuse est un vrai sophisme.

Et quant à l’origine du mal, par rapport à Dieu, on fait une apologie de ses perfections, qui ne relève pas moins sa sainteté, sa justice et sa bonté, que sa grandeur, sa puissance et son indépendance.