Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/362

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nie la majeure, c’est-à-dire la première des deux prémisses du prosyllogisme, et on se pourrait contenter d’en demander la preuve ; mais pour donner plus d’éclaircissement à la matière, on a voulu justifier cette négation, en faisant remarquer que le meilleur parti n’est pas toujours celui qui tend à éviter le mal, puisqu’il se peut que le mal soit accompagné d’un plus grand bien. Par exemple, un général d’armée aimera mieux une grande victoire avec une légère blessure, qu’un état sans blessure et sans victoire. On a montré cela plus amplement dans cet ouvrage, en faisant même voir par des instances prises des mathématiques, et d’ailleurs, qu’une imperfection dans la partie peut être requise à une plus grande perfection dans le tout. On a suivi en cela le sentiment de saint Augustin, qui a dit cent fois que Dieu a permis le mal pour en tirer un bien, c’est-à-dire un plus grand bien ; et celui de Thomas d’Aquin (in libr. 2 sent., dist. 32, qu. I, art. 1), que la permission du mal tend au bien de l’univers. On a fait voir que chez les anciens la chute d’Adam a été appelée Felix culpa, un péché heureux, parce qu’il avait été réparé avec un avantage immense par l’incarnation du Fils de Dieu, qui a donné à l’univers quelque chose de plus noble que tout ce qu’il y aurait eu sans cela parmi les créatures Et pour plus d’intelligence, on a ajouté, après plusieurs bons auteurs, qu’il était de l’ordre et du bien général que Dieu laissât à certaines créatures l’occasion d’exercer leur liberté, lors même qu’il a prévu qu’elles se tourneraient au mal, mais qu’il pouvait si bien redresser ; parce qu’il ne convenait pas que pour empêcher le péché, Dieu agît toujours d’une manière extraordinaire. Il suffit donc pour anéantir l’objection, de faire voir qu’un monde avec le mal pouvait être meilleur qu’un monde sans mal : mais on est encore allé plus avant dans l’ouvrage, et l’on a même montré que cet univers doit être effectivement meilleur que tout autre univers possible.

II. Objection. S’il y a plus de mal que de bien dans les créatures intelligentes, il y a plus de mal que de bien dans tout l’ouvrage de Dieu.

Or il y a plus de mal que de bien dans les créatures intelligentes.

Donc il y a plus de mal que de bien dans tout l’ouvrage de Dieu.

Réponse. On nie la majeure et la mineure de ce syllogisme conditionnel. Quant à la majeure, on ne l’accorde point, parce que cette prétendue conséquence de la partie au tout, des créatures intelligentes