Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/47

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il n’y a qu’un Dieu, quoique ces trois personnes diffèrent entre elles, il faut juger que ce mot Dieu n’a pas la même signification au commencement et à la fin de cette expression. En effet, il signifie tantôt la substance divine, tantôt une personne de la divinité. Et l’on peut dire généralement qu’il faut prendre garde de ne jamais abandonner les vérités nécessaires et éternelles pour soutenir les mystères, de peur que les ennemis de la religion ne prennent droit là-dessus de décrier et la religion et les mystères.

23. La distinction qu’on a coutume de faire entre ce qui est au-dessus de la raison et ce qui est contre la raison s accorde assez avec la distinction qu’on vient de faire entre les deux espèces de la nécessité ; car ce qui est contre la raison est contre les vérités absolument certaines et indispensables, et ce qui est au-dessus de la raison est contraire seulement à ce qu’on a coutume d’expérimenter ou de comprendre. C’est pourquoi je m’étonne qu’il y ait des gens d’esprit qui combattent cette distinction, et que M. Bayle soit de ce nombre. Elle est assurément très bien fondée. Une vérité est au-dessus de la raison quand notre esprit, ou même tout esprit créé, ne la saurait comprendre ; et telle est, à mon avis, la sainte Trinité, tels sont les miracles réservés à Dieu seul, comme, par exemple, la création ; tel est le choix de l’ordre de l’univers, qui dépend de l’harmonie universelle et de la connaissance distincte d’une infinité de choses à la fois. Mais une vérité ne saurait jamais être contre la raison ; et bien loin qu’un dogme combattu et convaincu par la raison soit incompréhensible, l’on peut dire que rien n’est plus aisé à comprendre ni plus manifeste que son absurdité. Car j’ai remarqué d’abord que, par la raison, on n’entend pas ici les opinions et les discours des hommes, ni même l’habitude qu’ils ont prise de juger des choses suivant le cours ordinaire de la nature, mais l’enchaînement inviolable des vérités.

24. Il faut venir maintenant à la grande question que M. Bayle a mise sur le tapis depuis peu, savoir, si une vérité, et surtout une vérité de foi, pourra être sujette à des objections insolubles. Cet excellent auteur semble soutenir hautement l’affirmative de cette question : il cite des théologiens graves de son parti, et même de celui de Rome, qui paraissent dire ce qu’il prétend ; et il allègue des philosophes qui ont cru qu’il y a même des vérités philosophiques, dont les défenseurs ne sauraient répondre aux objections qu’on leur fait. Il croit que la doctrine de la prédestination est de cette nature