Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/5

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Les sages d’autres nations en ont peut-être dit autant quelquefois, mais ils n’ont pas eu le bonheur de se faire suivre assez, et de faire passer le dogme en loi. Cependant Moïse n’avait point fait entrer dans ses lois la doctrine de l’immortalité des âmes : elle était conforme à ses sentiments, elle s’enseignait de main en main, mais elle n’était point autorisée d’une manière populaire, jusqu’à ce que Jésus-Christ leva le voile, et, sans avoir la force en main, enseigna avec toute la force d’un législateur, que les âmes immortelles passent dans une autre vie, où elles doivent recevoir le salaire de leurs actions. Moïse avait déjà donné les belles idées de la grandeur et de la bonté de Dieu, dont beaucoup de nations civilisées conviennent aujourd’hui ; mais Jésus-Christ en établissait toutes les conséquences, et il faisait voir que la bonté et la justice divine éclatent parfaitement dans ce que Dieu prépare aux âmes. Je n’entre point ici dans les autres points de la doctrine chrétienne, et je fais seulement voir comment Jésus-Christ acheva de faire passer la religion naturelle en loi, et de lui donner l’autorité d’un dogme public. Il fit lui seul ce que tant de philosophes avaient en vain tâché de faire : et les chrétiens ayant enfin eu le dessus dans l’Empire romain, maître de la meilleure partie de la terre connue, la religion des sages devint celle des peuples. Mahomet depuis ne s’écarta point de ces grands dogmes de la théologie naturelle : ses sectateurs les répandirent même parmi les nations les plus reculées de l’Asie et de l’Afrique, où le christianisme n’avait point été porté ; et ils abolirent en bien des pays les superstitions païennes, contraires à la véritable doctrine de l’unité de Dieu, et de l’immortalité des âmes.

L’on voit que Jésus-Christ, achevant ce que Moïse avait commencé, a voulu que la divinité fût l’objet, non seulement de notre crainte et de notre vénération, mais encore de notre amour et de notre tendresse. C’était rendre les hommes bien heureux par avance, et leur donner ici-bas un avant-goût de la félicité future. Car il n’y a rien de si agréable que d’aimer ce qui est digne d’amour. L’amour est cette affection qui nous fait trouver du plaisir dans les perfections de ce qu’on aime, et il n’y a rien de plus parfait que Dieu ni rien de plus charmant. Pour l’aimer, il suffit d’en envisager les perfections ; ce qui est aisé, parce que nous trouvons en nous leurs idées. Les perfections de Dieu sont celles de nos âmes, mais il les possède sans bornes ; il est un océan, dont nous n’avons reçu que des gouttes : il y a en nous quelque puissance, quelque connaissance, quelque