Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/53

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et qu’on a même fait des choses qui l’ont facilité, il ne s’ensuit point pour cela nécessairement qu’on en soit le complice ; ce n’est qu’une présomption très forte, qui tient ordinairement lieu de vérité dans les choses humaines, mais qui serait détruite par une discussion exacte du fait, si nous en étions capables par rapport à Dieu ; car on appelle présomption chez les jurisconsultes ce qui doit passer pour vérité par provision, en cas que le contraire ne se prouve point ; et il dit plus que conjecture, quoique le Dictionnaire de l’Académie n’en ait point épluché la différence. Or il y a lieu de juger indubitablement qu’on apprendrait par cette discussion, si l’on y pouvait arriver, que des raisons très justes et plus fortes que celles qui y paraissent contraires ont obligé le plus sage de permettre le mal, et de faire même des choses qui l’ont facilité. On en donnera quelques instances ci-dessous.

34. Il n’est pas fort aisé, je l’avoue, qu’un père, qu’un tuteur, qu’un ami puisse avoir de telles raisons dans le cas dont il s’agit. Cependant la chose n’est pas absolument impossible, et un habile faiseur de romans pourrait peut-être trouver un cas extraordinaire, qui justifierait même un homme dans les circonstances que je viens de marquer ; mais à l’égard de Dieu, l’on n’a point besoin de s’imaginer ou de vérifier des raisons particulières qui l’aient pu porter à permettre le mal ; les raisons générales suffisent. L’on sait qu’il a soin de tout l’univers, dont toutes les parties sont liées ; et l’on en doit inférer qu’il a eu une infinité d’égards, dont le résultat lui a fait juger qu’il n’était pas à propos d’empêcher certains maux.

35. On doit même dire qu’il faut nécessairement qu’il y ait eu de ces grandes, ou plutôt d’invincibles raisons, qui aient porté la divine sagesse à la permission du mal, qui nous étonne, par cela même que cette permission est arrivée ; car rien ne peut venir de Dieu, qui ne soit parfaitement conforme à la bonté, à la justice et à la sainteté. Ainsi nous pouvons juger par l’événement (ou a posteriori) que cette permission était indispensable, quoiqu’il ne nous soit pas possible de le montrer (a priori) par le détail des raisons que Dieu peut avoir eues pour cela ; comme il n’est pas nécessaire non plus que nous le montrions pour le justifier. M. Bayle lui-même dit fort bien là-dessus (Rép. au provinc., ch. 165, tom. 3, p. Io67) : Le péché s’est introduit dans le monde, Dieu donc a pu le permettre sans déroger à ses perfections : ab actu ad potentiam valet consequentia. En Dieu cette conséquence est bonne : il l’a fait, donc il