Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/57

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discussions théologiques ; et des personnes, dont l’état est peu compatible avec les recherches exactes, doivent se contenter des enseignements de la foi, sans se mettre en peine des objections : et si par hasard quelque difficulté très forte venait à les frapper, il leur est permis d’en détourner l’esprit, en faisant à Dieu un sacrifice de leur curiosité ; car lorsqu’on est assuré d’une vérité, on n’a pas même besoin d’écouter les objections. Et comme il y a bien des gens dont la foi est assez petite et assez peu enracinée pour soutenir ces sortes d’épreuves dangereuses, je crois qu’il ne leur faut point présenter ce qui pourrait être un poison pour eux ; ou si l’on ne peut leur cacher ce qui n’est que trop public, il faut y joindre l’antidote, c’est-à-dire, il faut tâcher de joindre la solution à l’objection, bien loin de l’écarter comme impossible.

41. Les passages des excellents théologiens qui parlent de ce triomphe de la foi peuvent et doivent recevoir un sens convenable aux principes que je viens d’établir. Il se rencontre dans quelques objets de la foi deux qualités capables de la faire triompher de la raison ; l’une est l’incompréhensibilité, l’autre est le peu d’apparence. Mais il faut se bien donner de garde d’y joindre la troisième qualité, dont M. Bayle parle, et de dire que ce qu’on Croit est insoutenable : car ce serait faire triompher la raison à son tour, d’une manière qui détruirait la foi. L’incompréhensibilité ne nous empêche pas de croire même des vérités naturelles ; par exemple (comme j’ai déjà marqué) nous ne comprenons pas la nature des odeurs et des saveurs, et cependant nous sommes persuadés, par une espèce de foi que nous devons aux témoignages des sens, que ces qualités sensibles sont fondées dsiiis la nature des choses, et que ce ne sont pas des illusions.

42. Il y a aussi des choses contraires aux apparences, quc nous admettons, lorsqu’elles sont bien vérifiées. Il y a un petit roman tiré de l’espagnol, dont le titre porte qu’il ne faut pas toujours croire ce qu’on voit. Qu’y avait-il de plus apparent que le mensonge du faux Martin Guerre, qui se fit reconnaître par la femme et par les parents du véritable, et fit balancer longtemps les juges et les parents, même après l’arrivée du dernier ? Cependant la vérité fut enfin reconnue. Il en est de même de la foi. J’ai déjà remarqué que ce qu’on peut opposer à la bonté et à la justice de Dieu ne sont que des apparences, qui seraient fortes contre un homme, mais qui deviennent nulles, quand on les applique à Dieu, et quand on les