Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Ladrange, 1866, tome 2.djvu/560

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un ordre admirable dans toute la nature, et prévaloir sur les lois mêmes purement géométriques de la matière, comme je l’ai trouvé en rendant compte des lois du mouvement ; ce qui m’a frappé d’un tel étonnement que, comme je l’ai expliqué plus au long ailleurs, j’ai été forcé d’abandonner la loi de la composition des forces que j’avais défendue dans ma jeunesse lorsque j’étais plus matérialiste.

Nous avons donc ainsi la dernière raison de la réalité tant des essences que des existences dans un être unique qui doit être, de toute nécessité, plus grand, plus élevé et plus ancien que le monde même, puisque c’est de lui que tirent leur réalité non-seulement les existences que ce monde renferme, mais les possibles eux-mêmes. Et cette raison des choses ne peut se chercher que dans une seule source, à cause de la connexité qu’elles ont toutes entre elles. Or, il est évident que c’est de cette source qu’émanent continuellement toutes les choses existantes, qu’elles en sont et en ont été les productions, car on ne comprend pas comment tel état du monde plutôt que tel autre, l’état d’aujourd’hui plutôt que celui de demain viendrait du monde lui-même. On voit avec la même évidence comment Dieu agit physiquement et librement, comment en lui est la cause efficiente et finale des choses, et comment il manifeste non-seulement sa grandeur et sa puissance dans la construction de la machine du monde, mais encore sa bonté et sa sagesse dans le plan de la création. Et pour qu’on ne pense pas que nous confondions ici la perfection morale ou la bonté avec la perfection métaphysique ou la grandeur, ou qu’on ne rejette celle-là en accordant celle-ci, il faut savoir qu’il suit de ce que nous avons dit que le monde est très-parfait, non-seulement physiquement, ou si on l’aime mieux, métaphysiquement, parce que la série de choses produites est celle où il y a le plus de réalité en acte, mais encore qu’il est très-parfait moralement, en ce que la perfection morale est une perfection physique pour les âmes elles-mêmes. Ainsi le monde n’est pas seulement la machine la plus admirable, mais, en tant qu’elle est composée d’âmes, c’est aussi la meilleure république, où il est pourvu à toute la félicité ou à toute la joie possible qui constitue leur perfection physique.

Mais, direz-vous, nous voyons le contraire arriver dans ce monde ; les gens de bien sont souvent très-malheureux, et sans parler des animaux, des hommes innocents sont accablés de maux, et même mis à mort au milieu des tourments ; enfin le monde, si l’on envisage surtout le gouvernement de l’espèce humaine, ressemble plutôt