Page:Œuvres poétiques complètes de Adam Mic̜kiewicz, tome 1, 1859.djvu/163

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d’humilité. Le Sauveur, parmi les enfants de Nazareth, portait déjà la croix sur laquelle il a sauvé le monde ; ô mère polonaise ! j’aimerais mieux voir cet enfant jouer avec les instruments de ses jeux à venir !

Que sa main s’accoutume à la chaîne, qu’elle apprenne à traîner l’infâme tombereau ; que son front ne pâlisse pas devant la hache de l’exécuteur et ne rougisse point à l’aspect de la corde. Car il n’ira pas, comme les guerriers d’autrefois, arborer la victoire sur les murs de Solyme ; ni comme les soldats du drapeau tricolore, creuser le sillon de la liberté, l’arroser de sang[1]. Un espion ténébreux lui jettera le défi, il lui faudra combattre un tribunal parjure, la lice du tournoi sera le cachot souterrain, un ennemi tout-puissant sera son arbitre et son juge.

Vaincu, l’arbre desséché de la potence sera son monument funèbre ; sa gloire et son immortalité, les pleurs bientôt consolés d’une femme, et les longs entretiens nocturnes de ses concitoyens.

Genève, 1830.



VIII.

LE FORT D’ORDON

(Récit d’un adjudant.)

« Nos canons se taisaient encore. Je montai sur un affût, et je regardai dans la plaine. Deux cents canons grondaient tout à l’entour. Les lignes de l’artillerie russe s’étendaient au loin, droites et longues, comme les falaises de la mer. J’aperçois le chef. Il accourt, fait un signe de l’épée ; et l’armée, comme un oiseau, reploie une de ses ailes. De cette aile,

  1. M. Michel Podczaszynski, historien et littérateur distingué, trop tôt enlevé à sa patrie, a le premier imprimé cette poésie dans son Mémorial ; mais il a commis une erreur de date qu’il importe de rectifier. Ce n’est point le 1er novembre 1831 qu’elle fut composée, mais évidemment durant cette période de quatre mois qui suivit la révolution de juillet et précéda l’insurrection de novembre. Comment cette seule poésie a engendré toute ma traduction des œuvres de Mickiewicz, je l’ai raconté dans ma préface.