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XIII
NICOLAS MACHIAVEL.

affaire, ces ambassadeurs exposèrent à la seigneurie qu’ils ne venaient pas en cette province comme ennemis ; qu’ils ne voulaient ni attaquer la liberté de la république, ni affaiblir sa puissance, mais s’assurer de la ville ; qu’on devait abandonner le parti français pour embrasser le parti de la Ligue ; que Pierre Soderini étant connu comme partisan des Français, la Ligue, aussi longtemps qu’il serait au pouvoir, ne pouvait se confier aux promesses des Florentins ; que le vice-roi exigeait que Soderini résignât ses fonctions, et que le peuple de Florence élût à son gré un gonfalonier nouveau. Soderini répondit qu’il tenait ses fonctions du peuple ; que quand bien même tous les rois de la terre lui commanderaient de déposer son titre, il refuserait de se soumettre ; mais que si le peuple exigeait qu’il se retirât, il le ferait volontiers. »

La fierté de cette réponse exalta l’enthousiasme des Florentins. Chacun offrit sa vie pour Soderini, et pendant ce temps l’armée espagnole s’avança jusqu’à Prato, à dix milles de Florence. Cette place fut emportée d’assaut. Soderini, ne comptant plus sur une résistance armée, essaya de négocier. La noblesse, qui regrettait les Médicis, prit les armes pendant la nuit, et occupa tous les postes. Le gonfalonier dut quitter la ville, et l’ancien ordre de choses fut rétabli. « Les seigneurs, dit Machiavel, réunirent le peuple en parlement, et il fut porté une loi en vertu de laquelle les magnifiques Médicis furent réintégrés dans tous les honneurs et les grades de leurs ancêtres. »

Cette révolution, dont Machiavel nous a transmis le récit avec une froideur impassible et sans le moindre regret pour un gouvernement qu’il avait servi pendant quatorze années, fut le signal de sa chute. « La nouvelle seigneurie, dit M. Artaud, lança bientôt contre lui deux décrets, le 8 et le 10 novembre 1512 ; le premier porte que Nicolas Machiavel est cassé, privé et absolument dépouillé de ses offices de secrétaire des dix magistrats de liberté et de paix. Le second décret, du 10, signifié le 17, porte que Nicolas Machiavel, ci-devant secrétaire, est exilé pour un an sur le territoire florentin, et qu’il n’en peut sortir sous des peines sévères. Un troisième décret, du 17, lui défend d’entrer dans le palais des hauts et magnifiques seigneurs[1]. »

  1. Artaud, Machiavel, t. 1, p. 223.