Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/288

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culier, ainsi que fit Pacuvius à Capoue, et le sénat à Rome.

Je crois encore pouvoir conclure qu’un homme sage ne doit point appréhender le jugement du peuple dans les affaires particulières, telles que la distribution des emplois et des dignités ; car c’est en cela seul que le peuple ne se trompe point ; ou si du moins il se trompe quelquefois, ces exemples sont si rares, qu’un petit nombre de citoyens seraient sujets à de bien plus fréquentes erreurs, si le soin de ces distributions leur était confié. Et je ne regarde pas comme une chose superflue de faire voir dans le chapitre suivant la conduite que tenait le sénat pour égarer le peuple dans les élections.



CHAPITRE XLVIII.


Pour empêcher qu’une magistrature ne soit donnée à un méchant ou à un homme incapable, il faut la faire briguer par un homme plus pervers et plus incapable encore, ou par l’homme le plus illustre et le plus vertueux.


Quand le sénat craignait que les tribuns armés de la puissance consulaire ne fussent tirés du sein du peuple, il usait de l’un de ces deux moyens : ou il faisait briguer cette dignité par les hommes les plus renommés de la république, ou bien il corrompait quelque plébéien sordide et sans aveu, et l’engageait à se mêler aux autres plébéiens d’un mérite supérieur qui la sollicitaient ordinairement, et à la demander ainsi qu’eux. Dans ce dernier cas le peuple aurait rougi d’accorder ; dans le premier, il avait honte de refuser. Cela rentre encore dans le sujet du précédent chapitre, où j’ai prouvé que le peuple se trompe sur les objets généraux, mais qu’il est éclairé sur les particuliers.