Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/321

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considération d’âge ni de naissance. Jamais dans Rome on n’eut égard à l’âge, et l’on y chercha toujours la vertu, qu’elle fût le partage des jeunes gens ou des vieillards. Valérius Corvinus en est un exemple mémorable : nommé consul à vingt-trois ans, il disait à ses soldats, en parlant du consulat : « C’est le prix du mérite et non de la naissance ; » Erat prœmium virtutis, non sanguinis. Il y aurait beaucoup à dire sur les avantages ou les désavantages de cette coutume.

Quant à la naissance, ce fut une nécessité de n’y avoir point égard ; et cette nécessité existera dans toute république qui voudra obtenir le même empire que Rome. On ne peut exiger des hommes qu’ils se livrent à des travaux qui n’ont point pour but une récompense ; et l’on ne peut leur ravir l’espoir de poursuivre cette récompense, sans exposer l’État aux plus grands dangers. Sans doute il était nécessaire que le peuple eût l’espoir de parvenir au consulat, et qu’il nourrît quelque temps cette espérance ; mais elle ne put suffire par la suite, et il voulut en avoir la possession.

L’État, qui n’emploie ses sujets à aucune entreprise glorieuse, peut, ainsi que nous l’avons vu, les traiter au gré de son caprice ; et celui qui veut obtenir les mêmes succès que Rome ne doit point établir dans son sein de distinction. Si cela est vrai pour la naissance, la question de l’âge est résolue ; elle en est la suite nécessaire. En élevant un jeune homme à une dignité qui exige la prudence d’un vieillard, il est clair, puisque la multitude le choisit, que quelque action éclatante l’a rendu digne d’être porté à ce rang élevé. Et, quand le mérite d’un jeune homme brille de tout l’éclat que répandent sur lui ses belles actions, il serait dangereux que l’État ne pût dès lors en tirer avantage, et qu’il fallût attendre que la vieillesse eût glacé cette force d’âme et cette activité qu’on aurait pu employer