Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/436

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injures à celles qu’il a déjà reçues, cet homme ainsi outragé ne pense point à se venger, quelque péril qui le menace, et dût-il même y perdre la vie.



CHAPITRE XXIX.


La fortune aveugle les hommes lorsqu’elle ne veut pas qu’ils s’opposent à ses desseins.


Si l’on réfléchit attentivement à la manière dont se passent les événements de ce monde, on verra naître une foule d’accidents auxquels il semble que le ciel n’ait pas voulu que l’on pourvût. Et si ce que j’avance arriva à Rome, où régnait tant de grandeur d’âme, de religion et de sagesse, faudra-t-il s’étonner de le voir arriver plus souvent encore au sein d’une ville ou d’une province où l’on ne rencontre aucune de ces vertus ?

Comme cette observation prouve de la manière la plus évidente l’influence que le ciel conserve sur les événements humains, Tite-Live s’y arrête avec complaisance, et emploie les paroles les plus puissantes pour nous convaincre. « Le ciel, dit-il, voulant dans sa sagesse faire connaître sa puissance aux Romains, frappa d’abord d’aveuglement les Fabius que l’on envoya aux Gaulois comme ambassadeurs, et par leur conduite il attira sur Rome tout le poids de la guerre. ; il voulut ensuite que Rome, pour réprimer cette guerre, ne prît aucune mesure digne du peuple romain, et qu’un de ses premiers soins fût d’envoyer en exil à Ardée Camille, le seul appui qui lui restât au milieu de ses maux. Ensuite, lorsque les Gaulois s’approchèrent de Rome, ceux mêmes qui, pour arrêter l’invasion des Volsques et l’inimitié des autres peuples voisins, avaient tant de fois créé des dictateurs, négligèrent cette mesure à l’aspect des Gaulois. D’un autre côté,