Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/470

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frapper jamais les oreilles du prince. Cette résolution bien conçue peut tomber dans l’esprit du premier individu venu, grand, petit, noble, non noble, familier ou non familier du prince, puisqu’il est possible à chacun de lui parler au moins une fois ; et celui à qui cette facilité est permise une seule fois peut en profiter pour assouvir sa vengeance. Pausanias, dont j’ai déjà parlé ailleurs, poignarda Philippe de Macédoine tandis qu’il allait au temple, environné d’une garde nombreuse, et placé entre son fils et son gendre ; mais l’assassin était noble, et connu du prince. Un Espagnol, pauvre et de basse extraction, frappa Ferdinand, roi d’Espagne, d’un coup de couteau à la gorge : la blessure ne fut pas mortelle ; mais elle prouve du moins qu’il eut la hardiesse et la commodité de frapper. Un derviche, espèce de prêtre turc, tira un cimeterre contre Bajazet, père du Grand Seigneur actuel : il ne l’atteignit point ; mais ce ne fut ni l’intention ni la possibilité qui lui manquèrent. Il existe sans doute un assez grand nombre d’esprits de cette trempe qui ont l’intention d’agir, parce qu’il n’y a dans l’intention ni difficulté ni péril ; mais peu en viennent au dénoûment. Sur mille qui exécutent, il en est bien peu, si même il en est un, qui ne soient massacrés sur le fait. C’est ce qui fait que personne ne court volontiers à une mort certaine.

Mais laissons de côté ces projets conçus par un seul homme, et venons aux conjurations formées par plusieurs. L’histoire nous prouve, par une foule d’exemples, que toutes les conjurations ont été conçues par des grands ou des courtisans admis dans l’intimité du prince, parce que les autres, à moins d’être entièrement insensés, ne peuvent former de complot : des hommes sans pouvoir, et non admis dans l’intérieur du prince, n’ont aucune des espérances ni des facilités qu’exige l’exécution d’une conjuration. D’abord des hommes sans pouvoir ne peuvent s’assurer de la foi de