Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/492

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de l’ignorer jusqu’à ce qu’ils aient pu réunir des forces suffisantes pour l’étouffer. S’ils agissaient différemment, ils ne manifesteraient que leur faiblesse. Ils doivent donc mettre tout leur art à dissimuler, parce que si les conjurés viennent à être découverts, poussés alors par la nécessité, ils ne mettent plus de ménagements dans leur conduite.

Les Romains nous serviront ici d’exemple. Ils avaient laissé deux légions à Capoue pour défendre cette ville contre les Samnites, ainsi que nous l’avons dit ailleurs : les chefs de ces légions formèrent le complot d’asservir les habitants. Ce projet étant parvenu jusqu’à Rome, on envoya le nouveau consul Rutilius pour rétablir l’ordre. Le consul, pour ne point éveiller les soupçons, fit publier que le sénat maintenait les deux légions en garnison à Capoue. Dans cette persuasion, les soldats crurent qu’ils auraient tout le temps nécessaire pour exécuter leur complot, et ils ne tentèrent pas d’en précipiter l’exécution : ils restèrent paisibles jusqu’au moment où ils commencèrent à s’apercevoir que le consul les séparait les uns des autres. Cette conduite leur inspira des soupçons ; ils manifestèrent alors leurs projets, et les mirent à exécution.

On voit, par cet exemple frappant, combien les hommes sont lents à se décider lorsqu’ils croient avoir le temps pour eux, et combien leur résolution est précipitée lorsque la nécessité les presse. Un prince ou une république, qui, pour son avantage, veut différer de découvrir une conspiration, ne peut employer un moyen plus propice que de laisser entrevoir avec adresse aux conjurés une occasion prochaine de pouvoir se déclarer, afin qu’en attendant ce moment favorable, ou s’imaginant avoir du temps devant eux, ils donnent à l’un ou à l’autre le temps de les châtier.

Quiconque agit différemment ne fait qu’accélérer sa perte ; comme le prouve l’exemple du duc d’Athènes et