Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/500

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son armée en Afrique pour y terminer la guerre : Fabius fut un des plus ardents antagonistes de ce projet, comme un homme qui ne pouvait se détacher de ses manières et abandonner ses habitudes ; de sorte que s’il eût dépendu de lui, Annibal serait resté en Italie, ne s’apercevant pas que les temps étaient changés, et qu’il fallait également changer la manière de faire la guerre.

Si Fabius eût été roi de Rome, il eût peut-être été vaincu dans cette guerre, parce qu’il n’aurait pas su varier la manière de la faire conformément à la diversité des temps, mais il était né dans une république où il existait diverses espèces de citoyens et des caractères différents : ainsi, de même que Rome posséda Fabius, homme on ne peut pas plus propre pour les temps où il fallait se borner à soutenir la guerre, de même elle eut ensuite Scipion pour les temps où il était nécessaire de triompher.

Il en résulte qu’une république possède dans son sein plus de germes de vie, et jouit d’une plus longue fortune qu’une principauté ; car elle peut plus facilement s’accommoder à la variété des circonstances qu’un prince absolu, attendu la diversité des citoyens qu’elle renferme. Un homme accoutumé à n’agir que d’une manière ne change jamais, ainsi que je l’ai dit ; et si le temps amène des changements contraires à ses habitudes, il faut nécessairement qu’il succombe.

Pierre Soderini, dont j’ai déjà parlé, se conduisit en tout avec douceur et longanimité. Tant que les circonstances lui permirent de se livrer à son caractère, sa patrie prospéra ; mais lorsque les temps arrivèrent où l'on ne devait plus écouter la douceur et l’humanité, il ne put s’y résoudre, et il se perdit lui-même avec la république.

Le pape Jules II, tant que dura son pontificat, mit dans toutes ses actions de l’impétuosité, et presque de