Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/501

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la fureur ; comme son caractère était en harmonie avec les temps, toutes ses entreprises réussirent. Mais s’il était arrivé d’autres temps qui eussent exigé qu’il suivît une route différente, il eût succombé certainement, car il n’aurait pu changer ni de procédés ni de caractère dans sa conduite.

Deux raisons s’opposent à ce que nous puissions ainsi changer : l’une est que nous ne pouvons vaincre les penchants auxquels la nature nous entraîne ; l’autre, que quand une manière d’agir a souvent réussi à un homme, il est impossible de lui persuader qu’il sera également heureux en suivant une marche opposée. De là naît que la fortune d’un homme varie, parce que la fortune change les temps, et que lui ne change point de conduite.

La perte des États a lieu également lorsque leurs institutions ne varient point avec les circonstances, comme je l’ai déjà fait voir longuement ci-dessus ; mais ils périssent plus lentement, parce qu’ils changent plus difficilement, et qu’il est nécessaire, pour les renverser, qu’il arrive une époque où tout l’État se trouve ébranlé ; et un seul homme ne peut produire de si grands résultats par son changement de conduite.

Puisque nous avons cité l’exemple de Fabius Maximus, qui sut arrêter les progrès d’Annibal, j’examinerai, dans le chapitre suivant, si un général qui veut, à quelque prix que ce soit, livrer bataille à son adversaire, peut en être empêché par ce dernier.


CHAPITRE X.


Un général ne peut éviter la bataille quand son adversaire veut à tout prix l’y contraindre.


Cneius Sulpitius, dictator, adversus Gallos bellum