Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/503

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défendre, sous quelque prétexte que ce soit, d’en venir à une bataille, et de se garder même du plus léger combat. Ils s’imaginent, par cette conduite, imiter la prudence de Fabius Maximus, qui sauva Rome en temporisant, sans vouloir réfléchir que le plus souvent l’ordre qu’ils lui ont imposé est inutile, ou même dangereux ; parce qu’il est évident qu’un général qui veut tenir la campagne ne peut fuir la bataille si l’ennemi a résolu de l’y obliger à quelque prix que ce soit. Lui intimer un ordre semblable, c’est lui dire : Livre bataille à la convenance de ton ennemi, et non à la tienne. En effet, pour vouloir tenir la campagne et fuir le combat, le meilleur moyen est de rester éloigné de l’ennemi de cinquante milles au moins ; d’avoir ensuite des espions fidèles qui, en vous instruisant avec soin de son approche, vous donnent le temps de vous éloigner. Il existe encore un autre parti ; c’est de vous renfermer dans une ville. Mais l’un et l’autre de ces deux partis présentent les plus grands dangers : dans le premier cas, on laisse tout le pays en proie à l’ennemi, et un prince courageux aimera mieux s’exposer aux hasards d’une bataille que de prolonger la guerre pour la ruine de ses sujets ; dans le dernier, la perte est inévitable ; car, en se renfermant dans une ville, l’ennemi ne peut manquer de venir vous y assiéger, et bientôt la famine vous contraint à vous rendre. Ainsi, embrasser l’un de ces deux partis pour éviter le combat est extrêmement dangereux.

La méthode qu’adopta Fabius Maximus de se tenir sur les hauteurs est bonne, lorsqu’on a une armée assez vaillante pour que l’ennemi n’ose venir vous attaquer au milieu des avantages de votre position. On ne peut pas dire que Fabius évitait la bataille, mais plutôt qu’il voulait la livrer à sa convenance. Si Annibal était venu le trouver, Fabius l’aurait attendu, et en serait venu aux mains avec lui ; mais Annibal n’osa jamais accepter le combat de la manière que son adversaire le lui présen-