Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/515

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qu’à une bonne armée de former un bon capitaine ? Sur quoi je dis que la question parait être décidée ; car il semble qu’une réunion de braves trouvera plus aisément le moyen d’instruire un seul homme ou de lui inspirer du courage, qu’il ne le serait à un seul de réformer une multitude.

Lorsque Lucullus fut envoyé pour combattre Mithridate, il n’avait aucune expérience de la guerre : néanmoins, la brave armée qu’il commandait, et qui possédait tant de chefs aguerris, en fit en peu de temps un excellent général.

D’un autre côté, les Romains, à défaut d’hommes libres, avaient été obligés d’armer un assez grand nombre d’esclaves dont ils confièrent l’instruction à Sempronius Gracchus, qui parvint en peu de temps à en faire une excellente armée. Épaminondas et Pélopidas, après avoir délivré Thèbes, leur patrie, du joug des Lacédémoniens, firent bientôt des paysans thébains des soldats pleins de courage, capables non-seulement de résister aux troupes spartiates, mais même d’en triompher.

Le succès paraît devoir être le même dans les deux cas, parce que le bon peut trouver le bon. Cependant une bonne armée, sans un bon chef, devient ordinairement insolente et dangereuse, comme il arriva à l’armée des Macédoniens après la mort d’Alexandre, ou comme étaient les vétérans dans les guerres civiles.

Je suis donc convaincu qu’on doit avoir plus de confiance en un capitaine qui aurait le loisir d’instruire ses soldats, et la facilité de les armer, qu’en une armée indisciplinée qui aurait choisi son chef d’une manière tumultueuse. Aussi doit-on décerner une double gloire et une double louange à ces capitaines qui non-seulement ont triomphé de l’ennemi, mais qui, avant d’en venir aux mains, ont été contraints de former leur armée et de la plier à la discipline. Ils ont montré par cette conduite un double talent : exemple d’autant plus