Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
LE PRINCE.

dans la Grèce. Ces rébellions eurent pour cause les nombreuses principautés qui se trouvaient dans ces contrées, et dont le seul souvenir, tant qu’il subsista, fut pour les vainqueurs une source de troubles et d’inquiétudes. Il fallut que la puissance et la durée de la domination romaine en eussent éteint la mémoire, pour que les possesseurs fussent enfin tranquilles.

Il y a même plus. Lorsque, dans la suite, les Romains furent en guerre les uns contre les autres, chacun des partis put gagner et avoir pour soi celles de ces anciennes principautés où il avait le plus d’influence, et qui, après l’extinction de la race de leurs princes, ne connaissaient plus d’autre domination que celle de Rome.

Quiconque aura réfléchi sur toutes ces considérations, ne s’étonnera plus sans doute de la facilité avec laquelle Alexandre se maintint en Asie, et de la peine, au contraire, que d’autres, tel que Pyrrhus, eurent à conserver leurs conquêtes. Cela ne tint point à l’habileté plus ou moins grande du conquérant, mais à la différente nature des États conquis.



CHAPITRE V.


Comment on doit gouverner les États ou principautés qui, avant la conquête, vivaient sous leurs propres lois.


Quand les États conquis sont, comme je l’ai dit, accoutumés à vivre libres sous leurs propres lois, le conquérant peut s’y prendre de trois manières pour s’y maintenir : la première est de les détruire ; la seconde, d’aller y résider en personne ; la troisième, de leur laisser leurs lois, se bornant à exiger un tribut, et à y établir un gouvernement peu nombreux qui les contiendra dans l’obéissance et la fidélité : ce qu’un tel gouvernement fera sans doute ; car, tenant toute son existence