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CHAPITRE V.

du conquérant, il sait qu’il ne peut la conserver sans son appui et sans sa protection ; d’ailleurs, un État accoutumé à la liberté est plus aisément gouverné par ses propres citoyens que par d’autres.

Les Spartiates et les Romains peuvent ici nous servir d’exemple.

Les Spartiates se maintinrent dans Athènes et dans Thèbes, en n’y confiant le pouvoir qu’à un petit nombre de personnes ; néanmoins ils les perdirent par la suite. Les Romains, pour rester maîtres de Capoue, de Carthage et de Numance, les détruisirent et ne les perdirent point. Ils voulurent en user dans la Grèce comme les Spartiates : ils lui rendirent la liberté, et lui laissèrent ses propres lois ; mais cela ne leur réussit point. Il fallut, pour conserver cette contrée, qu’ils y détruisissent un grand nombre de cités ; ce qui était le seul moyen sûr de posséder. Et, au fait, quiconque, ayant conquis un État accoutumé à vivre libre, ne le détruit point, doit s’attendre à en être détruit. Dans un tel État, la rébellion est sans cesse excitée par le nom de la liberté et par le souvenir des anciennes institutions, que ne peuvent jamais effacer de sa mémoire ni la longueur du temps ni les bienfaits d’un nouveau maître. Quelque précaution que l’on prenne, quelque chose que l’on fasse, si l’on ne dissout point l’État, si l’on n’en disperse les habitants, on les verra, à la première occasion, rappeler, invoquer leur liberté, leurs institutions perdues, et s’efforcer de les ressaisir. C’est ainsi qu’après plus de cent années d’esclavage Pise brisa le joug des Florentins.

Mais il en est bien autrement pour les pays accoutumés à vivre sous un prince. Si la race de ce prince est une fois éteinte, les habitants, déjà façonnés à l’obéissance, ne pouvant s’accorder dans le choix d’un nouveau maître, et ne sachant point vivre libres, sont peu empressés de prendre les armes ; en sorte que le conquérant peut sans difficulté ou les gagner ou s’assurer