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LES CLUBS CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES
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ainsi dire ; le marquis de Villette, qui avait brûlé ses lettres de noblesse, qui avait renoncé par anticipation à ses droits féodaux, se plaisait à y rencontrer Condorcet, le biographe de Voltaire, et, quoique membre des Jacobins, y jouait un rôle actif. Par exemple, il y proposa :


"Motion de M. de Villette au Club de 1789.[1]"

« Messieurs,

« Me seroit-il permis de faire une motion ? Ce seroit qu'au jour solennel du 14 juillet, lorsque les députés des troupes de ligne, des gardes nationales de toutes les régions de la France, viendront jurer le pacte fédératif à la face des représentans de la nation et sous les yeux du monarque, au lieu de ces cris vive le Roi ! qui ont si longtemps fatigué nos oreilles sans entrer dans nos cœurs, on criât d'une voix unanime : Louis Empereur ! Ce titre nouveau conviendroit parfaitement au nouvel ordre de choses. Prononcé par le président de l'Assemblée nationale, il seroit sanctionné par cinq cent mille qui le répéteroient à la fois. L'Empereur de la Chine a, dit-on, un million de soldats ; Louis XVI en a le double. Charlemagne fut proclamé Empereur des Français et convoquoit la nation dans le Champ de Mars. Après mille ans, elle a repris sa gloire et ses droits. Louis XVI doit donc reprendre un titre d'honneur que les rois fainéans ont laissé passer chez nos voisins. Effaçons les noms de roi, de royaume, de sujets qui ne s'uniront jamais bien avec le mot de liberté. Les Français qui ont la souveraineté et qui l'exercent, sont soumis à la loi et ne sont sujets de personne. Le prince est leur chef, et non leur maître : Imperat, non régit. Qu'il revienne donc du Champ de Mars, la couronne impériale sur la tête, et que son auguste épouse soit, comme sa mère, saluée du nom d'impératrice[2]. »

L'étrange proposition du marquis de Villette ne fut pas, ne pouvait pas être admise, et la Fédération du 14 juillet 1790 n'aboutit pas à la couronne impériale placée sur la tête de Louis XVI. Loin de là, pour les avancés, elle établissait, malgré les serments, un antagonisme durable entre les constitutionnels et les révolutionnaires conséquents dans leurs principes.

Le Journal de Paris, où ont paru plusieurs articles d'André de Chénier, professait une opinion à peu près conforme aux idées de la Société de 1789 ; mais celle-ci voulut avoir un organe spécial, dont

  1. "Cette motion n'a point été faite aux Jacobins, comme on l'a dit dans quelques papiers". (Note de la Chronique de Paris.)
  2. Chronique de Paris, numéro du 24 juin 1790, p. 607 et 608.