Page:A la plus belle.djvu/130

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— Qu’elle entre ! ordonna Berthe vivement.

Elle avait rapelé son charmant sourire et ce fut d’un ton de gaîté qu’elle s’écria en voyant paraître Jeannine :

— Bonjour, ma rivale !

C’était une allusion aux dernières paroles de Javotte, et Jeannine, qui n’était pas au fait, ne la pouvait point comprendre. Elle entra les yeux baissés, et ce mot, ma rivale, la fit tressaillir. Elle demeura auprès du seuil, toute pâle.

— Eh bien ! dit Javotte brusquement, est-ce comme ça qu’on salue mademoisellede Maurever ?

Berthe lui montra la porte.

— Laissez-nous, ma fille, murmura-t-elle.

Javotte obéit avec une répugnance manifeste.

— Ah dame ! ah dame ! pensait-elle en se retirant : de quoi ! des mercières, ces Le Priol ; et Jeannin, un domestique ! Eh bien ! voilà une belle société (mais une belle, que je dis ! Oui, je le dis ! après ?) pour la fille de Maurever ! Ça finira mal… ça finira mal… et je m’en bats l’œil encore ! Ah mais, qu’elles restent ensemble, qu’elles jacassent, qu’elles bavassent, qu’elles fricassent…

Oh ! le bon sang de frère Bruno la Bavette !

— Tiens fit-elle tout à coup en arrangeant d’instinct sa devantière, voilà Huel, le valet du chenil, qui dit que je chante mieux qu’un rossignol. Il s’y connaît, ce Huel ! Et pour donner une occasion de plus à Huel d’admirer sa voix, qui était aigre comme verjus, elle entonna dans le registre des fifres enrhumés la plus jolie chanson qu’elle eût jamais apprise :

Ouais ! Ouais !
J’ons perdu nos ouais ![1]
Jean !
Jean !
Les as-tu trouvais ?
Ouais ! Ouais !

  1. Oies. Ces désinences criardes du patois normand ont cours dans une partie de l’Ille-et-Vilaine.