Page:A la plus belle.djvu/30

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D’un autre côté, ce Jeannin avait une fille qui était aussi trop belle pour le repos et l’intérêt du même messire Aubry, vous sentez que cela devenait intolérable !

Encore, si on avait pu se débarrasserde ce Jeannin et de sa fille ! Mais ce Jeannin, derrière sa douce modestie, était un homme important dans le pays. Plus d’un chevalier eût envié l’estime où le tenait François II, duc de Bretagne. D’ailleurs, c’était un si vieil ami Jeannin avait vu naître l’héritier de Kergariou, Jeannin avait eu le dernier soupir de messire Aubry, qui avait laissé autrefois à sa garde Mme Reine et son enfant.

Jeannin aimait Mme Reine à la fois comme sa suzeraine et comme sa sœur. Pour elle et pour l’héritier de Kergariou, il eût donné mille fois sa vie. S’il avait au que sa fille était un danger pour Aubry, il eût pris sa fille en croupe et se fût enfui avec elle au bout du monde.

Mme Reine ne voulait pas voir cela. Elle se défiait. Elle était mécontente d’elle-même et mécontente d’autrui. Il lui fallait des victimes.

— Oh ! oh ! dit le nain, vous me demandez des nouvelles, noble dame ? Il est bientôt onze heures et j’aimerais mieux dîner. Des nouvelles ! saint Jésus ! Il en manque bien des nouvelles ! Ne savez-vous pas que le mangeur d’enfants a volé les deux filles d’Haynet Beaulieu, du bourg de la Rive ?

— Est-il possible s’écria Mme Reine deux pauvres anges qui n’avaient pas dix ans !

Jeannine avait quitté sa broderie pour écouter. Le nain s’était approché jusque sous le balcon où s’accoudait la châtelaine.

— Dix ans, onze ans, ça va jusqu’à douze ans, reprit-il ; maius il enlève aussi les demoiselles de dix-huit ans, ajouta-t-il tout à coup en se tournant vers la fenêtre de Jeannine ; c’est un ogre à marier… gare à celles qu’il épouse !

— L’as-tu vu, toi, enfant, ce monstre abominable ? demanda Mme Reine.

— Oui, oui, répliqua le nain ; c’est un beau cavalier… grand