Page:A la plus belle.djvu/70

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bavard, parvenu au summum de son art, n’a même pas besoin d’un écho pour prolonger son ingénieuse et solitaire causerie.

Il cause, il discute, il prouve, il réfute. On a vu des bavards, dédaignant le duo monotone, se lancer dans le trio et aborder même les difficultés de la partie carrée. Entre tous les mortels, ces bavards sont heureux.

La chaleur que frère Bruno mettait dans sa discussion avec lui-même, l’empêcha d’entendre un bruit provenant de la marche d’un homme qui furetait avec précaution dans le corridor. Cet homme n’était ni un moine ni un habitué du couvent, car il semblait aller un peu à l’aventure.

Ce pouvait être un des nombreux pèlerins qui affluaient au Mont depuis quelques semaines. Ce pouvait être aussi un vassal de la suite du roi de France.

En admettant cette dernière hypothèse, le costume de notre homme ne faisait, en vérité, point d’honneur à la magnificence du plus puissant monarque de ce siècle. Il portait des chausses étriquées en futaine grise, qui accusaient un long usage et se pelaient aux jointures de ses jambes maigres. Son surcot de drap brun affectait au contraire une certaine ampleur. Sa coiffure était un bonnet à bateau, dont les bords repliés carrément formaient cette visière tombante qui caractérise encore de nos jours les devantières des pêcheurs montois.

Sur sa poitrine, entre les plis de son surcot, on apercevait pourtant les deux bouts d’une chaîne dorée, qui devait soutenir un objet caché dans son sein.

Ce personnage avait dans son allure quelque chose de particulièrement mystérieux.

Quinze ou vingt cellules donnaient sur le corridor. Notre homme au surcot brun marcha de porte en porte, lisant les noms de religion écrits sur chacune d’elles.

— Frère Pacôme, frère André, frère Hilaire.

Il passait. Ce n’était ni à frère Pacôme, ni à frère André, ni à frère Hilaire qu’il voulait présentement-parler.

Enfin, il lut sur une des dernière portes : Frère Bruno.

Il s’arrêta, et sa main sortit des larges manches de son surcot