Page:A la plus belle.djvu/75

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Maître Loys, éventré, baignait dans son sang et ne respirait plus. Messire Aubry leva la tête et dit :

— Ma vie à mon seigneur le duc, mon âme à Dieu, ma dernière pensée à Mme  Reine et à mon cher enfant.

— Ah ! ah ! fit Pierre Gillot qui écoutait avec résignation, il y a un enfant ?

— Un beau jeune gentilhomme.

— Quel âge a-t-il ?

— Attendez, mon compère…

Frère Bruno se mit à compter sur ses doigts.

— C’était en l’an cinquante, murmura-t-il ; cinquante, je dis bien ; le vieux seigneur Hue de Maurever avait ajourné notre duc François Ier à comparaître dans quarante jours devant le tribunal de Dieu, pour répondre du meurtre de son frère, Monsieur Gilles de Bretagne. Le duc François avait mis à prix la tête de Monsieur Hue. Le coquin de Méloir voulait épouser Reine, fille du vieux chevalier ; il se mit aux trousses du père pour avoir la fille. Comment trouvez-vous cela ? Les soudards de Méloir incendièrent le village de Saint-Jean et les vassaux de Maurever, quittant leurs maisons brûlées, vinrent se réfugier au rocher de Tombelène avec leur maître… Ah ! ah ! j’y étais aussi, car je m’étais échappé du couvent pour aller me battre… de quoi, mon compère Gillot, de Tours en Touraine, j’ai dû faire pénitence, c’est vrai, mais je m’en étais donné ! ah ! glorieux archange ! nous élevâmes un rempart en une nuit. C’est là que je vis bien que Jeannin, le petit coquetier, deviendrait un fier homme d’armes ; je lui disais Peau-de-Mouton, mon ami… Mais s’il fallait répéter tout ce que je lui dis cette nuit-là, nous resterions ici jusqu’à demain matines. Il y eut de bons coups. Le chevalier Méloir mourut ensablé par les lises, parce que Peau-dc-mouton, qui avait les cheveux blonds comme une fillette, s’était déguisé en fée des Grèves pour tromper sa poursuite… Mon compère, entendîtes-vous parler quelquefois de la fée des grèves ?

— Non, jamais, répondit Pierre Gillot sans défiance.

— Eh bien ! reprit frère Bruno la Bavette, je vais vous