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DOUZE ANS DE SÉJOUR

prendre, on pourrait attribuer, en partie du moins, à tous ces contrastes dans les hommes et dans les choses, l’ardent amour de l’Éthiopien pour sa patrie.

En Éthiopie, le paysage est étrange, grandiose, saisissant ; l’œil habitué aux transitions ménagées de nos paysages est surpris tout d’abord par les mouvements du terrain, qui procède comme par acoups et par convulsions soudaines. En Europe, les paysages ont l’air d’être au repos ; là, dans leur immobilité même, on sent gronder l’action, la lutte antédiluvienne de la matière contre la matière ; l’homme se sent rapetissé, mais sa pensée grandit de tout l’élan que lui donne ce spectacle, qui la reporte invinciblement aux pieds du Créateur, aux ordres duquel cette matière s’est figée dans son dernier mouvement. Le terrain facile et onduleux se dérobe subitement jusqu’à une profondeur qui donne le vertige, ou, se dressant abruptement, semble vouloir porter dans le ciel quelque haut plateau aventureux. Là, un culbutis de rochers, de blocs erratiques, d’aiguilles, de contreforts, de crêtes désordonnées, de cônes tronqués, de pics, de masses cubiques, quelques hameaux accroupis sur des ressants, et, couchée tout au fond, une grande vallée blanchissante sous un ciel en feu et dessinée par les précipices. Ici, un haut plateau, de vastes plaines faciles et verdissantes, des bouquets d’arbres et des villages blottis paresseusement sous un ciel toujours pur et limpide ; à l’horizon, des montagnes aux flancs veloutés bleuissant comme la mer dans le lointain. Là, le baret des éléphants, les rauquements de la panthère, la voix tonnante du lion et les cris de l’orfraie ou un si-