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DOUZE ANS DE SÉJOUR

Il restait à détruire complètement la propriété, gage de la stabilité de la famille. Durant les guerres civiles, les Atsés avaient exproprié de leurs terres des provinces entières ; ils les donnèrent à des colons étrangers ou les rendirent à leurs anciens propriétaires, mais à des conditions serviles, et ils affirmèrent désormais l’idée musulmane, que le territoire de l’Empire appartenait à l’Empereur, et que leurs sujets n’en pouvaient avoir que la jouissance. Bientôt ils les appelèrent leurs esclaves, et, quel que fût son rang ou sa dignité, tout citoyen qui avait à solliciter une faveur ou à réclamer un droit dut se dire l’esclave de l’Empereur.

Le Lik Atskou me racontait qu’un jour les habitants d’une commune éloignée étant venus à l’audience de l’Empereur pour se plaindre de quelque abus, l’empereur, après les avoir écoutés jusqu’au bout :

— Voyons, leur dit-il, sur la terre de qui êtes-vous debout, en ce moment ?

— Sur celle de Votre Majesté.

— Eh bien ! trouvez d’abord dans l’Empire une motte de terre, d’où vous puissiez réclamer sans être sur ma terre : j’examinerai après.

« Les hommes, ajouta le Lik Atskou, sont sourds et aveugles : on leur crie, ils n’entendent pas ; on leur montre, ils ne voient pas, jusqu’à ce qu’un jour un rien leur fasse subitement ouvrir les yeux et les oreilles. Jusque là, dit-on, nos pères n’avaient pas cru à la réalité d’un dépouillement aussi complet. Cette réponse sacrilége répétée partout leur fit comprendre leur abaissement. Nous n’étions plus qu’une nation de mendiants. »

Comme pour accroître ces misères, le clergé qu’on avait réduit au silence en le comblant de biens, se