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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

mais, à l’exemple des hommes de loi des Empereurs, ils prélèvent des frais de justice, qui ruinent les plaideurs et constituent leurs principaux bénéfices. Dans les causes civiles, ces frais montent souvent jusqu’à la moitié des valeurs en litige. Depuis que la justice coutumière a cessé d’être gratuite, sa vénalité est devenue notoire. Néanmoins ces tribunaux dégradés subissent encore la pression de la conscience publique, qui leur apparaît comme un fantôme et donne encore assez souvent le spectacle consolant des embarras de la force injuste aux prises avec le droit et la faiblesse qu’elle opprime. Il s’est bien trouvé, tantôt dans une province, tantôt dans une autre, quelques Polémarques qui se sont efforcés de relever l’autorité de la justice et de la morale. On cite parmi eux, le Ras Woldé Sillassé, qui gouverna le Tegraïe pendant plus de vingt ans ; les Ras Haïlo et Méred, Gouverneurs du Gojam et du Damote ; le Dedjadj Sabagadis, en Tegraïe ; le Ras Haïlo, dans le Samen, et plusieurs Polémarques de moindre importance dont la mémoire est bénie. L’action de ces hommes de bien, quoique bornée à l’étendue de leurs domaines, a exercé néanmoins sur le reste du pays une influence salutaire. Malheureusement, dans la longue lutte que le droit indigène avait soutenue contre le code byzantin, il avait subi des altérations dans ses parties essentielles, celles qui règlent la famille, la propriété et le mariage : la famille est restée démantelée ; le mariage et la propriété n’ont plus rien de stable, et n’était l’esprit chrétien planant au-dessus de cette nation désorientée, et qui, bien qu’altéré, l’illumine encore quelquefois, elle aurait atteint depuis longtemps le dernier degré de la déchéance et de l’abaissement.

Comme dans toute société anarchique, la car-