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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

toute jeune fille, dont la jolie figure n’avait encore rien perdu de son charme. L’ennemi l’avait complètement dépouillée, mais par un pudique hasard, l’eau trouble la recouvrait jusqu’à la ceinture. Malgré leur habitude de voir des morts, nos soldats s’arrêtèrent pour contempler ceux-ci et reprirent leur chemin, en courbant la tête, après les avoir recouverts de ramilles vertes. Cette piété pour les restes de l’homme, ce sentiment de respect envers la mort sont universels chez les chrétiens de l’Éthiopie. Quand des soldats trouvent un cadavre sur leur route, chacun dépose dessus des feuillages verts, et à leur défaut, une poignée d’herbe, de feuilles sèches, une pierre ou un peu de poussière. J’ai vu fréquemment le corps d’un inconnu, celui même d’un ennemi, disparaître ainsi sous ce linceul improvisé, sans que la troupe, accomplissant ce pieux devoir, eût presque interrompu sa marche. Cette coutume rappelle la coutume analogue en vigueur chez les anciens Grecs, qui vouaient à l’opprobre celui qui, trouvant sur le rivage de la mer le corps d’un naufragé, manquait à lui faire des funérailles. Sans cesse exposés aux retours du sort, à passer brusquement de la plus haute fortune au dénuement absolu, à la mutilation ou à la mort, les Éthiopiens, comme tous les hommes placés sous le coup d’une destinée toujours incertaine, paraissent plus accessibles au sentiment d’une véritable pitié que ceux qui se croient garantis contre les vicissitudes.

En arrivant au fond de l’immense gorge où coule l’Abbaïe, bien qu’au commencement de l’hiver, et malgré l’effet des premières pluies, nous trouvâmes la chaleur suffocante. Ymer-Sahalou avait ordre