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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

et l’autre commis le même méfait, on a tenu conseil, on a consulté le livre de la Loi, et malgré la bravoure, le rang et la nombreuse parenté de l’accusé, là, sous tes yeux, on vient de le condamner à avoir la main coupée. L’exécution a eu lieu pendant que tu parlais au prince. Tu peux bien rendre grâce à la tolérance de ces barbares, qui n’ont voulu voir en toi que jeunesse et ignorance. Ils sont, en vérité, parfois meilleurs que nous tous.

Je l’apaisai en lui avouant ma légèreté, et nous rentrâmes à Adwa les meilleurs amis du monde.

Ce brave homme, âgé d’une soixantaine d’années, était natif de Bagdad, mais Arménien de nation. Me sachant en peine d’un drogman, il s’était obligeamment offert à m’accompagner chez le prince. Il parlait l’arménien, le turc, l’arabe, le persan, le skipétare, le grec et un peu l’amarigna et le tigraïen. Il avait parcouru, comme trafiquant, la Perse, la Circassie, la Turquie, l’Inde, les pays turkomans, toute l’Asie mineure, une partie de l’Arabie, et s’était enrichi et ruiné plusieurs fois. Venu par le Soudan en Éthiopie pour y chercher de l’or et des esclaves, il aperçut dans une caravane, en entrant à Gondar, une jeune sidama, s’en éprit sur-le-champ et dépensa, pour l’acheter, une partie de ses maigres ressources ; le reste subvint aux dépenses de la lune de miel : il s’endetta même. Espérant obtenir quelque secours d’un orfèvre arménien établi à Adwa, il laissa l’esclave à Gondar en nantissement chez son hôte et partit. Son co-religionnaire l’accueillit et s’habitua tellement à lui, que moitié avarice, moitié sympathie, il ne voulut plus s’en séparer. La nourriture d’un homme coûte si peu dans le pays, et cet aventurier du négoce était si bavard,